« En libérant sa parole, Sarah Abitol a également libéré celle des autres »

Katia Palla a été sportive de haut niveau, patineuse à la carrière prometteuse. Elle quitte la glace du jour au lendemain. Le livre de Sarah Abitbol va réveiller en elle les violences qu’elle a subies. Rencontre avec une femme forte, une survivante, directrice de l’association La voix de Sarah.

Katia, qui êtes-vous ?
J’ai cinquante et un ans. Je suis une ancienne patineuse artistique de haut niveau. Sarah Abitbol et moi, nous nous entraînions à Bercy aux Français volants. Nous avions alors seize ans pour moi et douze ans pour Sarah. J’ai été victime du même agresseur que Sarah, Gilles Beyer, de mes seize à dix-huit ans passés. J’ai arrêté le patinage de façon brutale car je n’en pouvais plus, j’étais à bout. Je me suis protégée, comme un réflexe vital. J’ai disparu du patinage du jour au lendemain, sans remettre les pieds dans une patinoire pendant trente ans. Aujourd’hui, je suis cheffe d’entreprise et directrice de La voix de Sarah.

Le livre de Sarah, Un si long silence, a été un déclencheur pour vous…
Avec Sarah, nous nous étions perdues de vue. Quand elle a sorti son livre en 2020, je l’ai tout de suite lu. J’ai immédiatement compris que je n’étais pas la seule. J’avais gardé mes journaux intimes de l’époque. Je les ai alors ressortis et relus. Je ne les avais pas ouverts depuis vingt ans ! Ça a été un choc et en même temps une révélation. Il y avait la même stratégie de manipulation pour créer une emprise, la même démarche du même agresseur que Sarah. Je me suis dit : « Il faut que je fasse quelque chose ! »» J’ai cherché sur internet qui était en charge de la procédure judiciaire et je me suis rapprochée de la capitaine et de la commandante en charge du dossier de la Brigade de Protection des mineur.e.s. Elles m’ont tout de suite reçue et auditionnée. J’avais emporté mes journaux intimes. Elles les ont lus et photocopiés. Ce fut un peu violent pour moi. Aujourd’hui, c’est toujours compliqué pour moi de mettre des mots sur les violences que j’ai subies.

À l’époque vous ne voyiez plus Sarah ?
Non, je n’avais pas repris contact avec elle. Puis j’ai été invitée par Philippe Candeloro à la première de Holyday on Ice. Je savais que Sarah y serait. Je me suis postée dans l’entrée, je l’ai attendue. Et quand on s’est vu, on s’est regardé. Je lui ai dit : « Il faut que je te parle. » Elle a tout de suite compris ! Depuis ce moment, on a gardé le contact.

Puis vous vous êtes engagée à La voix de Sarah ?
En 2022, j’ai décidé de travailler en tant que bénévole au sein de La voix de Sarah pour aider les autres personnes victimes et surtout œuvrer sur le terrain pour protéger nos enfants, les femmes, les hommes de ces prédateurs sexuels. Sarah m’a accordée toute sa confiance. Aujourd’hui, je m’investis complètement dans l’association. Cela m’aide aussi à titre personnel à avancer.

Pouvez-vous présenter l’association La voix de Sarah ?
Tout commence le jour où Sarah visionne le film La consolation, l’histoire de Flavie Flament, abusée à l’âge de treize ans. Elle est bouleversée, cela fait écho à son passé. Elle se revoit à quinze ans, tétanisée, aux côtés de son agresseur. Elle exprime alors l’envie d’écrire son histoire et entame sa propre thérapie : mettre des mots sur ses maux. Le 30 janvier 2020, elle brise le silence et dévoile un chapitre sombre de sa vie en publiant Un si long silence. Elle se confie pour la toute première fois sur les actes de viol subis par son mentor et entraîneur. En plein coeur du mouvement #MeToo, le récit de Sarah Abitbol est une véritable onde de choc qui secoue le milieu du sport. En libérant sa parole, Sarah a également libéré celle des autres, elle reçoit plusieurs milliers de messages. C’était le début de #MeToo dans le sport. Elle décide alors de créer une association pour sensibiliser et aider l’ensemble des victimes de violences sexuelles : La voix de Sarah.. En janvier 2022, transformer ce cauchemar en force est viscéral.
Les objectifs de l’association sont d’écouter, de protéger, de sensibiliser, d’orienter et de former. C’est recueillir la parole des victimes, femmes ou hommes, filles ou garçons, d’abus sexuels récents ou anciens et/ou de leurs proches, les orienter vers des spécialistes pour les informer sur leurs droits et leur proposer un soutien psychologique par des entretiens individuels et/ou familiaux.

Il y a aussi un volet grand public dans l’action de La voix de Sarah.
Nous voulons sensibiliser et former le grand public lors de conférences ou de colloques, mais aussi dans le milieu sportif et bientôt en milieu scolaire et en entreprise. Nous voulons travailler en réseau avec les autres associations car nous sommes toutes complémentaires. La voix de Sarah propose aussi une exposition photographique intitulée Cri d’alerte. Chaque photographie met en scène de manière artistique et esthétique la thématique des violences sexuelles dans le sport avec des phrases percutantes mais non choquantes qui ont une vocation pédagogique et éducative. Cette sensibilisation est à destination des enfants, mais aussi de toutes les personnes gravitant autour. Nous collaborons également avec des sénateurs et député.e.s pour faire bouger les lignes dans le cadre des lois, notamment sur les contrôles qui doivent être réalisés dans les institutions sportives, mais aussi pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur.e.s.

Sur le site de l’association, il y a un onglet, « je signale ». Qui peut cliquer sur cet onglet ?
Tout le monde peut cliquer sur ce bouton. Il est en lien avec la cellule de crise du ministère des Sports. Les agresseurs ne sont pas toujours ceux que l’on imagine. Il peut s’agir d’un homme ou d’une femme, d’un proche, d’une personne de confiance, d’un camarade, d’un encadrant ou d’une personne ayant autorité… Les garçons comme les filles peuvent être victimes de violences sexuelles. Toutes les disciplines sportives et tous les milieux sociaux sont concernés. Les violences sexuelles peuvent survenir dans des lieux et situations très variés : le vestiaire ou l’internat, en situation isolée ou dans des contextes collectifs (entraînement, compétition, déplacement) ou encore des temps liés à la culture sportive.

Lorsque vous recevez un témoignage via le site de l’association, que se passe t-il ?
Nous prenons contact avec la personne par mail et, si elle est d’accord, nous nous téléphonons pour l’écouter et l’orienter vers notre réseau de spécialistes et d’associations. Nous sommes une jeune association, nous n’avons pas encore la possibilité de prendre en charge gratuitement les victimes, donc nous les orientons vers d’autres associations. Nous sommes en recherche de mécénats et subventions pour mettre en oeuvre nos actions et nos projets.

Quels sont les projets de l’association en France mais aussi à l’international ?
Nous souhaitons mettre en place des ambassadeurs et ambassadrices au sein de La voix de Sarah pour porter cette voix en France mais aussi à l’international, notamment aux États-Unis. Nous allons proposer des ateliers de reconstruction par le patinage appelés « Ice Skating Therapy », inspirés de la méthode Wim Hoc basée sur la respiration et l’exposition au froid. Ces stages permettront aux victimes de se réapproprier leur corps sur la glace, de mettre des mots sur les actes subis et de se libérer l’esprit de l’emprise du stress. Pour tout cela, nous avons besoins de bénévoles et de soutiens financiers.

Propos recueillis par Sabine Salmon

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