Édito : Le roi Pelé, au nom du père… et face à Dieu

J’ai plutôt de la sympathie pour Pelé, le talentueux footballeur artisan de bien des victoires de ses clubs et de son pays, l’homme engagé qu’il a été après sa carrière en tant que ministre des Sports et ambassadeur de l’Unesco et de l’ONU pour la paix. Mais son décès le 29 décembre dernier a plongé le monde, et le Brésil en particulier, dans une ferveur rarement égalée qui le positionne dès lors comme au-dessus des hommes et bien sûr des femmes.

Certes il y a une religion au-dessus de toutes les religions humaines : le foot. Mais cela ne suffit pas à expliquer un tel déferlement de superlatifs : “Le Roi Pelé est mort… un Dieu du foot…”

Nous sommes toujours dans le même schéma patriarcal en arrière-plan de ce bel enthousiasme populaire, le triangle infernal : Dieu, le père, le pouvoir avec l’idolâtrie comme mode de pensée, comme philosophie et un homme au-dessus des hommes et des femmes bien sûr.

Rien ne change réellement et nous sommes encore dans des dispositifs déprimants du vieux monde. Telle une divinité inca, sur des kilomètres une foule compacte s’est massée parfois au risque de blessures et d’écrasement contre le véhicule où était posé le cercueil visible de Pelé. L’idolâtrie de ces figures tutélaires comme les stars du foot glorifie la virilité, le pouvoir absolu et le rôle du père… de la nation, ce père à qui tous les enfants appartiennent et surtout les filles. Il n’y avait plus de mesure car, en touchant Pelé du bout des doigts, c’était un peu Dieu le père en personne que ces hommes et ces femmes semblaient caresser comme élu.e.s parmi les humain.e.s. Il n’y avait plus d’entendement, plus de raison car au fond le pouvoir des dieux est justement de ne pas expliquer d’où leur vient leur pouvoir. Et, de ce point de vue, Pelé était un cas d’école extrêmement doué.

Mais de là à en faire un dieu au pouvoir surnaturel… il n’y eut qu’un pas. J’ai cherché dans ma mémoire un tel engouement pour une femme et je n’ai trouvé que le cortège funéraire de la Reine Elizabeth II en septembre dernier. Mais si chacun était prêt à doter la Reine de toutes les qualités, faisant fi de sa fortune amassée sans trop se fouler, de son colonialisme et de ses yeux fermés face aux violences sexuelles de son fils sur des mineures et ce pour garder une place de choix à la monarchie anglaise… si, je
le disais, on était prêt dans ces kilomètres de queue à absoudre la Reine c’est justement parce qu’elle n’était pas Dieu mais seulement une femme de son époque, peut-être au-dessus des autres femmes mais jamais au-dessus des hommes bien sûr.

Carine Delahaie

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