Édito : La vie est un départ

Matin de juillet 2017, sur ma table, le dernier numéro de Match, un portrait de Simone Veil de décembre 2004. Elle pose devant la porte d’Auschwitz. Non, en fait elle ne pose pas, elle fixe l’objectif. Dans son regard se croise la jeune Simone Jacob, à peine sortie de l’enfance, encore sous le choc de la découverte de cet enfer sur terre et Madame Veil, survivante de la Shoah, la mère, la grand-mère pudique et aimante. Soucieuse de ne pas blesser ses proches par un excès de détails, elle reste consciente de l’immense responsabilité qui est la sienne à l’hiver de sa vie, celle de la transmission de sa mémoire.

Il est peu de chose qui m’émeut autant à chaque voyage de mémoire que ces femmes aux cheveux gris repassant, avec souci du détail, comme pour ne pas trahir leurs camarades disparu.e.s, la porte en métal rouillé des camps. Elles se perdent dans le temps, cherchant ce qui n’est plus, à la fois soulagées et inquiètes. Elles ont toutes le même regard, entre désespoir et cri de victoire d’être vivantes, soixante, soixante-dix ans après que les nazis aient programmé leur mort. À ce moment précis, elles sont seules avec leur mémoire, avec leurs promesses, seules avec les mots qu’elles n’ont pas eu le temps de prononcer avant le départ.

La neige blanche recouvre avec difficulté les rails d’Auschwitz-Birkenau. Rien ne peut les faire disparaître tant qu’il reste des témoins. Ni les herbes folles de l’été, ni le brouillard de l’hiver n’en viennent à bout. Ces rails marquent notre Histoire, lignes directrices de notre mémoire collective. Qu’en sera-t-il demain ? Simone Veil est toujours debout, dans son manteau sombre et éclatant, le ciel est immaculé, la photo révèle à elle seule toutes les facettes de cette femme d’exception.

Une des grandes causes chères à Simone Veil fut de combattre quiconque souhaitait relativiser la Shoah dans un antisémitisme latent. L’extermination systématique de 6 millions de juifs et 500 000 sintis et tziganes ne se comparent à aucune autre barbarie. Mais celles qui nous en transmettent la mémoire nous inspirent pour aider à faire vivre, survivre celles qui, aujourd’hui encore, reviennent de l’innommable. Femmes bafouées, enfants violées, il y a toujours une place dans ce monde pour vous reconstruire. Il y aura toujours une main tendue qui vous mènera, cheveux blancs à votre tour, marcher sur les tombes de ceux qui vous ont mutilées. Le bourreau n’aura jamais gagné tant que vous serez vivantes.

Carine Delahaie

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