Viols des femmes à Djibouti : l’arme de la répression

Confronté à une opposition civile et armée, le régime autoritaire du Président Ismaël Omar Guelleh utilise toutes les armes pour se maintenir au pouvoir. Parmi ces « armes », le viol de femmes et jeunes filles afars par ses forces armées et ses forces de l’ordre ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire. Dix femmes de Djibouti, résidant en France et en Belgique, entament une grève de la faim, le 25 mars 2016, pour dénoncer l’impunité totale dont  bénéficient les soldats djiboutiens auteurs de viols contre des femmes afars, depuis 1993, dans le Nord et le Sud-Ouest de Djibouti.

djiboutiDepuis son indépendance, en 1977, Djibouti vit sous un régime autoritaire. En 1999, Ismaël Omar Guelleh a succédé à son oncle Hassan Gouled Aptidon. En avril 2011, il entamait son troisième mandat après une modification de la Constitution, très controversée selon l’opposition, l’autorisant à se présenter ad vitam aeternam, à l’instar d’un certain nombre de ses homologues africains. L’opposition djiboutienne, quant à elle, est bâillonnée. Toute contestation politique ou syndicale, toute forme d’expression médiatique « non conforme » aux desiderata du pouvoir font l’objet de poursuites et d’intimidations pouvant aller jusqu’à des emprisonnements arbitraires, des tortures, des menaces sur les proches, des saisies de biens… Malgré cela, l’opposition, l’Union pour le salut national (coalition de plusieurs partis d’opposition) tente de faire entendre sa voix lors de quelques manifestations, violemment réprimées. L’opposition armée (Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie) mène aussi la vie dure au pouvoir djiboutien. Si la population de Djibouti souffre dans son ensemble de cette absence de démocratie, les populations afars sont particulièrement ciblées par le pouvoir. Et parmi elles, les femmes et les jeunes filles déjà confrontées à d’autres violences comme les mariages forcés, les mutilations sexuelles féminines… Les viols de femmes et jeunes filles afars par des soldats de l’armée gouvernementale ont débuté en 1991 ; l’un d’eux s’est produit en 1992 à Obock où une mère de neuf enfants – Hasna Mohamed – a été violée par plusieurs soldats avant d’être brûlée vive. Ces actes odieux sont parfois commis en série par les militaires en présence des parents, maris ou proches des femmes afin d’empêcher toute reconstruction familiale. En outre, du fait de l’infibulation ou de l’excision de nombreuses femmes afars, les conséquences des viols peuvent conduire à des handicaps à vie ou même au décès des victimes. Le pouvoir ne peut ignorer les viols commis par ses soldats car, même si de nombreuses femmes refusent de parler de ce qu’elles ont subi, considéré comme une terrible humiliation et un déshonneur pour la communauté, certaines ont eu le courage de porter plainte. Toutes ces plaintes impliquant des militaires ont été classées sans suite par le tribunal de Djibouti. Ce déni de justice et cette impunité constituent une humiliation supplémentaire pour ces femmes et les plongent dans  la crainte de récidives de soldats qu’elles côtoient au quotidien. S’il est difficile pour les associations d’établir des statistiques précises des viols commis sur les femmes afars, les témoignages recueillis permettent d’estimer à plusieurs centaines le nombre de femmes et jeunes filles violées par les forces armées djiboutiennes. Des femmes parviennent à transmettre des informations clandestinement à ces associations afin de rendre compte des crimes commis sur le territoire djiboutien. Ainsi, pour l’année 2015, 25 cas de viols ont été signalés au Comité des femmes djiboutiennes contre les viols et l’impunité, aux environs d’Adaylou, de Margoita, de Syaru, de Galela (district de Tadjourah), Mabla, Waddi, Alaylou (district d’Obock). Les cas répertoriés montrent que c’est souvent lors des corvées d’eau (puits, forages) que les femmes sont le plus vulnérables. Mais certaines ont également été violées alors qu’elles tentaient d’obtenir des nouvelles de proches, détenus arbitrairement dans des casernes militaires. Par crainte de représailles, peu nombreux sont ceux qui osent dénoncer ces crimes. Quelques défenseurs des droits humains ont tenté de le faire. Ainsi, Hassan Amine Ahmed qui, pour cela, a été inculpé d’insurrection armée et d’incitation de trouble à l’ordre public et condamné à dix mois de prison (d’août 2011 à mai 2012). De même pour Jean-Paul Noël, président de la Ligue djiboutienne des droits de l’Homme, en 2007, lorsqu’il a dénoncé le viol d’une jeune fille sourde et muette, Fatouma Ali, par des membres de la Garde républicaine. Malgré les risques qu’elles encourent, une vingtaine de femmes djiboutiennes réfugiées en Éthiopie, sont prêtes à témoigner des viols qu’elles ont subis de la part de membres de l’armée djiboutienne. Afin que la population djiboutienne ait connaissance de ces faits, car elle l’ignore trop souvent, et que la communauté internationale prenne conscience des armes que le pouvoir djiboutien utilise pour terroriser son peuple et le réduire au silence. Dans un contexte électoral tendu, émaillé de répression, le pouvoir djiboutien a multiplié les mesures autoritaires : arrestations, tortures, exécutions extrajudiciaires (deux personnes sont décédées sous la torture en février 2016). L’association Femmes solidaires et le Comité des Femmes contre les viols et l’impunité ont donc lancé un appel à la communauté internationale pour qu’elle condamne les viols des femmes djiboutiennes et l’impunité de ces crimes qu’elles considèrent comme des crimes de guerre. Elles ont appelé pendant 19 jours à l’ouverture d’une enquête internationale sur toutes les exactions commises à l’encontre des femmes à Djibouti et au jugement des auteurs de viols et continuent de demander en outre à la communauté internationale de faire respecter par la République de Djibouti les conventions régionales et internationales qu’elle a ratifiées, dont la CEDAW.

Le 18e jour, après avoir reçu le soutien de parlementaires, d’actrices et d’acteurs de la société civile et de citoyen.ne.s, elles ont reçu la visite de l’ambassadrice des droits de l’Homme du ministère des Affaires étrangères, Mme Sparacino-Thiellay. Elle est venue le lundi 11 avril afin de s’entretenir avec les grévistes de la situation des femmes djiboutiennes. Elles ont alors cessé leur action considérant qu’elles avaient obtenu que la situation d’atteinte aux droits humains et les intolérables viols et violences massifs à Djibouti soient révélés dans le monde et dans les plus hautes instances européennes. Elles ont également eu l’assurance que la question des violences commises contre les femmes, notamment des viols et de l’accès à la justice des victimes, soit évoquée dans les échanges bilatéraux entre la France et Djibouti.

L’ambassadrice des droits de l’Homme continuera d’assurer un contact et un suivi réguliers avec les ONG qui accompagnent les victimes de ces violences. Enfin, elles viennent d’annoncer la création d’un comité de suivi de ces plaintes constitué entre autres d’Yvette Roudy et Marie-George Buffet, anciennes ministres, de Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, et de MarieChristine Vergiat, députée européenne. Depuis le 25 avril, dix djiboutiennes sont de nouveau en grève de la faim à Bruxelles. Grâce à toutes ces actions, la prochaine étape est de réactiver ces plaintes dans les mois qui viennent.

Carine Delahaie

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