Choisissant de s’affranchir d’une image lisse de superstar, Beyoncé signe un album visuel percutant. Ancrée dans la réalité de la communauté noire-américaine d’aujourd’hui, le message porté par Lemonade n’en est pas moins universel et radical.
Lemonade (1), le dernier album de Beyoncé, a suscité une vague de réactions enflammées aux États-Unis dans tous les groupes qui partagent un discours émancipateur. Les féministes ont reconnu dans l’oeuvre une continuité de leurs réflexions et analyses. Pour les militant.e.s des droits civiques, il fait écho à l’activisme #BlackLivesMatter (2) de ces dernières années. Mais de quoi Lemonade est-il vraiment le nom ?
Le personnel est politique
Si Beyoncé évoque dans Lemonade l’infidélité de son époux, c’est surtout pour exposer son propre parcours et sa propre analyse. Face à leurs blessures, on attend toujours des femmes qu’elles se contiennent dans un silence que l’on dit « digne », mais nos aînées féministes l’affirmaient avec raison, le personnel est souvent politique. Beyoncé refuse avec force d’être définie en quoi que ce soit par l’infidélité de son époux. Sa question, « Mais pour qui tu me prends ? », répétée avec force, est surtout l’occasion pour elle d’imposer sa propre réponse. Elle rappelle en fait une vérité simple et universelle : toute femme est une personne à part entière. Sa valeur et son intégrité lui sont intrinsèques et, dès lors, elles ne peuvent être diminuées par les actions d’autrui. Cette affirmation de l’absolue entièreté des femmes ébranle les rapports de domination : si une femme est pleinement maîtresse en elle-même, qui peut décider en son nom ?
La question de l’identité
L’artiste s’attaque de manière plus générale aux croisements des systèmes de domination. Elle s’adresse en effet aux enjeux les plus actuels de l’émancipation des minorités aux États-Unis. Dans une société encore rongée par le racisme et les rapports de classe, que signifie être une femme noire, à l’héritage double d’une mère créole de Louisiane et d’un père natif de l’Alabama ? Que signifie être féministe quand on est à la fois une superstar, une femme lambda et une artiste ? Sa réponse est sans appel : « Liberté, liberté où es-tu ? J’ai besoin de toi (…) Je brise mes chaînes toute seule, je ne vais pas laisser ma liberté pourrir en enfer (…) Je vais continuer à avancer parce qu’une gagnante ne renonce pas. »
Mettons-nous en formation
Beyoncé ne se contente pas de proposer une vision critique de la situation d’oppression
des femmes et particulièrement des femmes noires américaines. Lemonade se conclut par un appel à l’action : « Mesdames, mettons-nous en formation. » Si nous nous unissons, plus rien ne nous est impossible. Ensemble, nous pouvons déconstruire et définitivement mettre à terre tous les systèmes
de domination. Le message ultime de l’album est sans doute celui-ci : la conquête individuelle de la liberté n’a de sens que si elle s’accompagne d’un affranchissement par toutes les femmes de leurs chaînes.
Gwendoline Coipeault
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À la fin de la chanson Freedom, on entend Hattie White (la grand-mère de Jay-Z) dire « [La vie] m’a donné des [fruits amers], mais j’en ai fait de la limonade ». Le titre de l’album fait référence à la capacité de transformer les blessures en positif. Symboliquement, la « lemonade » est également rattachée à la culture du Sud des États-Unis.
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En 2012, le jeune Trayvor Martin décède tué par un policier. Quand ce dernier est acquitté, le sentiment d’injustice pousse de nombreux.ses jeunes américain.e.s à s’engager. Ils et elles créent alors le mouvement #BlackLivesMatter [Les vies noires comptent] qui continue d’agir pour la lutte contre les injustices qui sont encore le lot quotidien de nombreux.ses noir.e.s américain.e.s aux États-Unis.
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