Pharmaciennes, guérisseuses, docteures populaires… Les mystérieuses sorcières sont avant tout des femmes savantes, partageant leurs savoirs avec d’autres femmes et soignant chacun.e sans distinction de moyens. Persécutées par le patriarcat, torturées et tuées, leurs descendantes, elles, sont pourtant bien présentes !
Le mot « sorcière » signifie étymologiquement « diseuse de sort » (sortiarus en latin). Sous ce vocable, elle apparaît comme détentrice de pouvoirs magiques et de ce fait dangereuse car elle empiète sur les champs temporel et spirituel du patriarcat. La sorcière est donc poursuivie, brûlée en place publique en Europe du XVe au XVIIIe siècle pour alliance avec le diable par les inquisiteurs de l’Église catholique alors toute-puissante.
Pourtant, la sorcière de village d’autrefois est tout à la fois herboriste, jeteuse de sort, interprète des rêves, guérisseuse, sage-femme et psychologue. Alors que seules les saignées sont à l’ordre du jour des hommes de la médecine orthodoxe, la sorcière, seule ressource pour les pauvres gens dans les endroits reculés des villages, propose des breuvages de plantes qui s’avèrent souvent plus efficaces.
Les simples des sorcières pharmaciennes
« Simples » est, depuis le Moyen Âge, le nom donné aux plantes médicinales. Mais leur culture est bien plus ancienne. Les archéologues en ont retrouvées desséchées dans les tombes des néandertalien.ne.s ainsi que dans la composition de leur tartre dentaire. On peut espérer qu’à ce stade expérimental de la découverte des vertus des herbes, les femmes préhistoriques qui les ramassaient n’étaient pas encore stigmatisées. La connaissance des plantes, transmise de génération en génération de femmes, est stigmatisée par l’Église. Les mêmes plantes sont souvent à la fois remèdes et poisons, seul le dosage fait la différence : nuance trop subtile pour les fanatiques qui accusent les femmes la maîtrisant d’être diaboliques ou empoisonneuses. Ces plantes ont pour nom absinthe, ciguë, gui, houx, mandragore, pavot, aubépine, grande ortie, rose, pervenche, belladone, datura…
Dans le jardin des sorcières
Les plantes utilisées par les sorcières répondent à des maux divers. L’absinthe favorise la digestion, régularise la menstruation, est vermifuge mais aussi une drogue toxique, aliénante, pouvant provoquer des congestions cérébrales. La mandragore a longtemps été considérée comme l’herbe magique par excellence, aux vertus surnaturelles, sa racine de forme presque humaine ajoutant au mystère. Elle favorise les accouchements et guérit des morsures de vipères. Elle est surtout un puissant hallucinogène. Le pavot, du simple coquelicot entrant dans la composition des bonbons d’antan adoucissant la gorge, jusqu’à l’origine de la fabrication de l’opium et de l’héroïne, est encore utilisé aujourd’hui comme sédatif ou somnifère et c’est aussi l’une des plaies sociales de notre époque quand sa transformation apporte une sévère addiction à ses utilisateurs. La datura ou « trompette des anges » soigne le haut mal, ancien nom de l’épilepsie, c’était aussi un anesthésique et bronchodilatateur ; cette dernière propriété a été commercialisée depuis sous la forme de cigarettes anti-asthme. Dans l’imaginaire populaire, les sorcières restent toutefois plus généralement représentées par des symboles moins… terrestres.
Chaudron, balai
Les deux accessoires emblématiques de la femme-sorcière s’accompagnent d’un bestiaire éloquent : crapaud, hibou, chat noir, vipère, araignée, rat et chauve-souris. Le chaudron est son outil de travail, dans lequel elle concocte ses potions magiques. Quant au balai, il est le moyen de transport au sens propre et figuré – suscitant exaltation, extase et transe – attribuée aux magiciennes-guérisseuses. Elles l’enfourchent et s’envolent grâce à leur pouvoir magique dû à l’absorption de filtre, pour se rendre au sabbat, lieu de réunion nocturne. Sous la torture, ces femmes qui ne sont que de savantes herboristes avouent s’y rendre en présence du diable et s’y livrer à des orgies et à la profanation des rites chrétiens.
Les sorcières, des femmes diaboliques ?
Depuis le Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, le rôle des femmes se restreint à la sphère familiale, l’éducation des enfants, l’entretien du logis, des animaux et la cuisine. Le moindre problème les rend toutefois rapidement suspectes, comme le souligne Martine Ostorero, professeure d’histoire médiévale : « Il suffit d’une maladie inexpliquée ou qui s’aggrave, d’une naissance qui tourne au tragique par la mort du nouveau-né (la mortalité enfantine est alors très élevée), d’un repas mal digéré, de bétail qui meurt, pour que l’on soupçonne telle ou telle femme d’être responsable du malheur qui survient dans une communauté, et de l’avoir commis volontairement avec l’aide du diable. L’accusation de sorcellerie permet d’attribuer une cause à une catastrophe naturelle ou à un malheur inattendu et inexplicable. Elle résulte souvent d’une tentative de guérison ratée… »
Le pouvoir appartient aux hommes de loi et d’Église au Moyen Âge, et ce pouvoir est misogyne. Or, puisque la culpabilité des femmes est soumise à l’appréciation des hommes d’influence, le patriarcat punit sévèrement et aveuglément ses cibles. Les femmes sont des pécheresses en puissance, toujours suspectes et facilement coupables. La haine des femmes culmine lors de procès expéditifs suivis de meurtres publics, connus sous le nom de « chasse aux sorcières ».
Les sorcières de Salem
Les mots sifflent comme la lanière d’un fouet et s’invitent à notre mémoire collective dès que l’on évoque la chasse aux sorcières. L’histoire se passe en 1692 à Salem, petite ville côtière du Massachusetts, près de Boston aux USA. Fondée par des puritains expulsés de l’église d’Angleterre, elle offre un terrain favorable à une psychose collective. Plusieurs jeunes filles semblent atteintes d’un mal mystérieux. Elles parlent une langue inconnue et ont un comportement étrange qualifié d’hystérie qui se propage au sein de la communauté. Une simple dénonciation suffit à devenir suspecte et la moindre discorde entre voisin.e.s prend rapidement des proportions dramatiques.
Entre cent-cinquante et trois cents personnes seront accusé.e.s de sorcellerie, vingt seront exécutées dont dix-neuf femmes pendues et un homme écrasé sous des pierres. On évoquera plus tard la possibilité d’une farine contaminée par l’ergot de seigle, champignon parasite qui provoque des spasmes et des hallucinations. Une fois de plus, l’ignorance tue.
Chasses aux sorcières contemporaines
Malheureusement, les chasses aux sorcières n’ont pas disparu au xviie siècle. En décembre 2017, I am not a witch (Je ne suis pas une sorcière), réalisé par la Zambienne Rungano Nyoni, arrive dans les salles obscures. Shula, l’héroïne, est une petite fille accusée de sorcellerie. Elle est enfermée dans un camp de sorcières, tels qu’il en existe réellement, notamment au Ghana. « Pour les femmes, dans les pays d’Afrique, être appelée sorcière a des conséquences très sérieuses. La vie d’une femme est en danger quand elle est accusée de sorcellerie. Ce mot devient une menace, elles sont réellement exilées, comme l’ont été les sorcières en Europe à un moment de l’histoire. Quand on fait des films en Afrique, les gens ont une tendance à prendre de la distance en se disant que c’est un problème qui ne concerne que l’Afrique. Mais je voulais qu’en voyant le film, on comprenne que c’est un problème global. La misogynie est l’affaire de tous. »
Les femmes sont encore considérées comme des sorcières dans le monde actuel où toutes les religions imposent toujours leur dictat pour entraver la liberté de leur corps considéré comme un objet impudique, voire lubrique, dont les hommes devraient se protéger à travers l’excision et le port du voile occultant.
Dominique Barthélémy
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