Emma Oudiou, sportive de haut niveau, vient de réaliser Suite, un documentaire pour dénoncer les violences sexuelles dans le milieu de l’athlétisme. Elle nous explique ses motivations, ses objectifs. Entretien.
Pouvez-vous nous rappeler votre parcours de sportive, votre palmarès ?
J’ai été athlète de haut niveau pendant dix ans, spécialiste du 3000 mètres steeple. J’ai fait dix sélections en équipe de France et obtenu trois médailles internationales.
Dans Suite, le documentaire que vous venez de réaliser, cinq femmes athlètes, toutes dans l’athlétisme, témoignent des violences sexuelles – viols pour certaines – qu’elles ont subies par des agresseurs appartenant au milieu du sport. Pourquoi ce documentaire ? Quel est, quels en sont les objectifs ?
Ce docu est une nécessité dans un monde sportif violent par plein d’aspects. Pourtant on en parle trop peu. J’ai moi-même été victime de violences sexuelles, beaucoup d’athlètes autour de moi également, il était temps qu’on en parle. L’objectif est double : faire en sorte que les victimes sachent qu’elles ne sont pas seules et qu’elles ont le droit de parler, mais aussi faire réagir les institutions pour qu’elles protègent leurs athlètes comme il se doit.
Vous avez été vous-même victime de violences. Pouvez-vous revenir sur cette période ? Cela a-t-il eu des conséquences sur votre carrière de sportive ?
Bien sûr que cela a eu des conséquences sur ma vie d’athlète et sur ma vie de femme. Cela a été un vrai traumatisme. Dans la mesure où je continuais de côtoyer cette personne, malgré moi, en compétitions et en stages nationaux, je vous laisse imaginer la difficulté de continuer sa carrière sereinement…
Comment êtes-vous entrée en contact avec les femmes qui s’expriment dans votre documentaire ? Pourquoi ont-elles accepté de témoigner ?
J’ai tout simplement fait un appel à témoins sur mon compte Instagram et elles ont répondu. Je pense qu’elles ont accepté car elles sont très courageuses, et qu’elles veulent que les choses changent et aussi qu’elles me font confiance dans la mesure où je suis l’une d’entre elles.
Subissez-vous des pressions suite à la libération de votre parole et/ou depuis votre documentaire ? Au contraire, avez-vous été sollicitée pour continuer sur ce chemin de lutte contre les violences ?
Non pas du tout de pressions pour le moment. Au contraire, je suis très sollicitée, notamment de la part des institutions qui semblent vouloir mettre des politiques en place.
La Fédération d’athlétisme a-t-elle réagi suite à votre documentaire ?
Oui, elle était même invitée à l’avant-première. Elle a recueilli le témoignage des filles de manière officielle et voudrait lancer des commissions disciplinaires contre les personnes mises en cause.
La parole se libère au sujet des violences que subissent les femmes dans plusieurs milieux et notamment celui du sport. Quel est votre regard sur cette période que nous traversons ?
C’est positif. Il est temps d’arrêter de demander toujours aux mêmes de faire tout le travail, à savoir aux femmes de parler. C’est maintenant de l’autre côté qu’il faut que ça se passe, c’est aux institutions de prendre leurs responsabilités et de protéger les victimes ou potentielles victimes.
Le ministère des Sports s’est saisi de ce sujet en créant notamment la Cellule Signal Sports. Cela va-t-il dans le bon sens ? Est-ce que ça bouge à tous les niveaux ?
Oui, ça bouge dans le bon sens, mais pas suffisamment à mon goût. C’est encore le patriarcat qui est présent à tous les niveaux et qui priorise la carrière et les médailles de certain.e.s au détriment de la dignité et de l’intégrité d’autres.
Emma, va-t-il y avoir une suite à ce documentaire ? Allez-vous continuer à vous engager dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans le sport ?
Bien sûr, j’ai envie qu’il y ait une suite à Suite. Je pense à plein de choses : faire un autre documentaire, créer une course pour promouvoir l’égalité, créer une association pour faire de la prévention et accompagner les victimes, travailler avec les institutions pour créer des politiques réellement efficaces contre les violences… Il y a tout à faire ! Mais pour l’instant, je me repose, car tout cela demande beaucoup d’énergie !
Propos recueillis par Sabine Salmon
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