Édito : Le même regard…

À l’heure où nous mettons sous presse, vient de tomber l’heureuse nouvelle : François Hollande prononce la grâce totale de Jacqueline Sauvage, cette femme qui a tué son mari après avoir subi, ainsi que ses filles, les violences et les viols de cet homme. Pourquoi cette femme, dont la vie a été tant médiatisée sans le vouloir, est-elle devenue pour toutes les femmes un symbole ? Est-ce parce que sa vie parle à toutes ou plutôt parce que toutes connaissent ce sentiment d’impunité, d’injustice face aux violences sexistes ? Nous avons toutes le même regard, sur nous, sur l’autre qui n’est pas nous. Ça commence par une blague salasse dans le métro, ça continue par une « main baladeuse » à la photocopieuse, ça finit par un mari qui ne vous entend pas quand vous lui dites non.

C’est le même regard que celui de Jacqueline Sauvage face aux questions de ceux qui ne la croient pas. Il est curieux de remarquer que, si vous portez plainte pour le vol de votre portefeuille, le policier qui vous recevra ne doutera nullement de votre statut de victime, mais si vous venez dénoncer le viol que vous avez subi, sa première réaction sera de douter. Il vous regardera face à face et posera son regard sur vous, puis sur votre regard, ce même regard qu’ont toutes les gamines violées par leur petit copain qui soutient qu’elle était consentante, le même regard que cette salariée humiliée par son patron à qui le policier demande si elle a déjà trompé son mari, le même regard que cette ministre insultée sur les bancs de l’Assemblée nationale où dans le silence assourdissant des réseaux sociaux. On a été Charlie, puis on a été Paris, puis Berlin, empathie collective, mais être Sauvage est d’une réalité déchirante. Nous sommes toutes des Jacqueline Sauvage.

En la graciant, le président n’a pas seulement libéré une femme, il a réintégré des milliards de femmes victimes de violences dans leur statut de victimes avec le même regard que celui de Jacqueline Sauvage au moment où le monde entier la croit, le même regard de toutes celles qu’on écoute pour la première fois, le même regard, celui qui quitte la terre brûlée du sol pour rejoindre, pour la première fois, la ligne d’horizon.

Carine Delahaie

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