Guy Bedos est mort. Le dernier des Mohicans ? La gauche est-elle morte avec Bedos ? La gauche cohérente est morte avec Bedos, c’est sûr. Celle qui ne transige pas, celle qui ne fait pas de quartier avec le racisme et le droit des migrant.e.s, celle qui ne dirait jamais « oui mais quand même il faut voir… » mais plutôt « allons-y, on ne peut pas ne pas y aller… ». Pour transformer une enfance pauvre et violente en une paternité robuste et flamboyante, il faut du courage et surtout de la cohérence. En fait, Bedos nous rassurait précisément parce qu’il était cohérent. S’il y avait une réac’, un cul-béni à rosser, c’était pour Bedos ! Un sans-papier à parrainer, c’était pour Bedos ! Un « arabe », une « salope » à protéger, c’était pour Bedos ! Et au mépris des coups de com’ et de la société bien pensante.
Bedos disait que Simone Signoret avait été sa professeure de Sciences-po, lui le gamin d’Alger qui avait manqué l’école. À eux deux, ils ont porté la gauche sur leurs épaules. Parce que la gauche ne s’est jamais aussi bien portée que quand ses enfants la chahutaient sans trembler face au premier tweet sur les réseaux. J’aime à imaginer qu’ils ont repris leurs échanges, maintenant qu’ils sont ailleurs. Quand j’entends la voix de Bedos ou celle de Signoret, c’est comme rentrer à la maison.
Et puis Bedos pour moi dans les années 70, c’était ce jeune et beau gars avec ses rouflaquettes et son col pelle à tarte qui se foutait de la gueule des beaufs de mon quartier avec son sketch Toutes des salopes. Avec ce rectangle blanc sur le coin de l’écran, ça me réjouissait de me dire que ça devait faire du bien à toutes ces femmes maltraitées qu’un type ridiculise un peu tous ces pauvres mecs qui leur servaient de mari.
Enfin, il m’a donné le goût de l’impertinence et des gros mots. Jamais plus violent ou grossier que le monde qui l’entourait. Alors parfois, quand je suis indignée devant la cruauté de ce monde qui me désespère, quand ma colère m’a emmenée trop loin et que je m’en veux, je pense à ce suicidaire qui aimait la vie et je me dis que justement, un monde dans lequel Bedos a vécu n’est pas irrémédiablement mauvais.
Carine Delahaie
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