Après 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron, vint 2018 et le mouvement de libération de la parole. Cette année, sans doute, restera aussi historique que le tournant des années 70 avec le Mouvement de libération des femmes (MLF). Au-delà d’avoir révélé la « condition » des filles dans notre société, ce mouvement planétaire #MeToo a retenti de façon plus universelle dans tous les milieux.
#MeToo un volcan en éruption
Si le MLF avait (certainement à tort, les choses étant plus complexes) été taxé de révolution bourgeoise par les femmes de la classe ouvrière tout juste sortie des mouvements des usines de 68, la libération de la parole en 2018 s’est étendue notamment en France dans toutes les catégories socioprofessionnelles de la société. Actrices, infirmières, femmes de ménage et cadres supérieures, responsables syndicales ou journalistes, chacune a décidé de rendre public ce que beaucoup partageaient dans le secret d’un cabinet médical ou d’une bouffe entre copines.
Rien ne sera plus jamais comme avant. La honte est en train de changer (lentement) de camp. Certains reprochent les dégâts collatéraux de ces révélations sur les familles des auteurs ou le non-respect de la sacro-sainte « présomption d’innocence ». Mais on ne prévient pas de l’éruption d’un volcan par une lettre recommandée avec accusé de réception. La responsabilité de ce déferlement de la parole incombe avant tout aux violeurs qui, eux-mêmes, ont fait basculer leurs victimes dans une douleur incommensurable. N’attendez pas des victimes, quand vient le temps de la parole, qu’elles prennent des gants une fois de plus pour se libérer afin d’être ce que la société attend d’elles.
Impuni, à jamais une plaie béante
Cependant, il reste deux chantiers, deux enjeux majeurs dans le cadre de ce nouveau quinquennat : la culture du viol dans notre société est encore trop présente et sa conséquence première l’impunité des violeurs est majoritaire avec seulement 1 % des viols aboutissant à des condamnations au pénal. Le plus souvent, les viols, qui sont des crimes, sont déqualifiés en agressions sexuelles et jugés en correctionnelle. Il n’est plus temps de demander gentiment de nouveaux droits. Indéniablement, nous arrivons à un arsenal législatif intéressant en matière d’égalité. Cependant, il est temps de punir les auteurs de viols, d’inceste et d’agressions sexuelles comme il se doit. Célébrer la Journée internationale pour l’élimination des violences le 25 novembre, jusqu’ici tout le monde est d’accord. Mais accepter que nous vivions dans une société imprégnée de façon endémique par la culture du viol c’est autre chose. Quant à l’impunité des maltraitances et crimes sexuels sur mineur.e.s elle est au-delà de ce que nous pouvons imaginer. La famille reste un lieu de possession du corps des enfants, il y a urgence à agir dès les premiers mois du quinquennat.
Que demandons-nous, nous les femmes ? D’arrêter de considérer le corps des femmes comme objets de consommation sans cesse convoités et déjà acquis. Les grandes plateformes de streaming, telles que Disney+, mettent en garde les spectateurs contre des visions historiques datées, racistes ou faisant la promotion du tabac… Si vous regarder Davy Crockett ou un western des années 60, les studios Disney vous expliqueront, en préambule du film, qu’il comporte des scènes portant atteinte aux communautés amérindiennes et montrant des scènes d’alcoolisme et de tabagisme, mais rien sur les scènes de saloon avec des femmes prostituées ou des enfants exploitées en danger. Imposons l’obligation de mentionner, à chaque fois qu’il est nécessaire, sur un support ou une œuvre qui présente des femmes comme des consommables, un avertissement. La culture de l’effacement n’est pas une solution, la pédagogie est un levier plus durable et efficace. Il est temps de relever le niveau de vigilance des jeunes générations.
Le deuxième chantier de ce quinquennat est celui de la lutte contre l’impunité. Tant qu’un cinéaste et producteur ayant tourné à la fin des années 80 un film culte de sa génération sur les beautés de la grande bleue et des mammifères marins bénéficiera d’un non-lieu dans une affaire de viol sur une actrice car on ne reconnaît pas l’emprise comme un phénomène constitutif du viol, tant qu’on laissera des écrivains, des hommes politiques, des médecins et des plombiers vivre leur meilleures vies dans des villas ou des pavillons de banlieue pendant que leurs victimes se suicident ou vivent en état de souffrances psychiques le reste de leur vie, tant que des armées en campagne en Ukraine ou en RDC continueront de prendre le corps des femmes pour un champ de bataille, aucune femme ne pourra faire totalement confiance à quelque président de la République que ce soit pour la protéger.
Carine Delahaie
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