Soignantes, caissières, agentes d’entretien, enseignantes ou travailleuses sociales, elles étaient en première ligne pendant la crise sanitaire, elles le sont toujours dans le quotidien de nos vies. Mais leurs compétences et la valeur de leur travail ne sont toujours pas pleinement reconnues. Deux universitaires engagées pour l’égalité salariale témoignent.
Avec la crise sanitaire, certains métiers sont apparus indispensables à la continuité de nos vies quotidiennes ; les soignantes bien sûr mais aussi les services à la personne, les agentes d’entretien, les caissières, les enseignantes ou les travailleuses sociales. Féminisés à plus de 75 % et assimilés à des « métiers de femmes », ils éduquent, soignent, assistent, nettoient, font du lien, écoutent, prennent soin, etc. renvoyant à des « compétences présumées innées ». Ces compétences ne sont pas reconnues comme de véritables compétences professionnelles, ce qui participe de leur sous-valorisation et explique en partie les 26 % d’écarts salariaux entre les femmes et les hommes.
Une tribune et une pétition, signées par toutes les organisations syndicales salariées, des associations féministes et près de 65 000 signataires, ont revendiqué l’urgence à revaloriser ces emplois.
À travail de valeur égale, salaire égal
Le principe juridique pour un travail de valeur égale a été posé par l’OIT dès 1919, et en France depuis 1972, il exige l’égalité salariale à travail égal, mais également entre emplois différents de même valeur. La loi « Roudy » de 1983 précise que « sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse ». Avec ces critères, les valeurs professionnelles des emplois féminisés et masculinisés peuvent être comparées. Par exemple, les diplômes des métiers de service ne sont toujours pas valorisés comme ceux des secteurs industriels. Les compétences relationnelles ne sont que rarement considérées comme des compétences techniques. Les responsabilités auprès de personnes malades et fragilisées pourraient être comparées aux responsabilités financières. Le fait de soutenir – physiquement et psychiquement – un.e patient.e ou de passer des milliers d’articles par heure à une caisse, sont des formes de pénibilité, comparables à celles de métiers masculinisés. Ou encore, être constamment interrompue ou effectuer une multitude de tâches différentes au sein d’un même métier n’est pas reconnu comme de la polyvalence.
D’autres pays l’ont fait, qu’attendons-nous ?
On ne compte plus les recherches, les revendications féministes et syndicales et les rapports institutionnels. Le Québec a rendu obligatoire, depuis vingt ans, la comparaison d’emplois dans l’entreprise, et cela a permis la revalorisation salariale de certains emplois féminisés. Des expérimentations ont eu lieu aussi en Suisse, au Portugal, au Royaume-Uni… Qu’attendons-nous pour en faire autant ?
Il est temps de rouvrir les négociations collectives sur les grilles de classification en veillant à chasser les biais sexués existants dans l’évaluation des emplois et d’enrichir ces négociations par des comparaisons d’emplois féminisés et masculinisés au niveau des entreprises. L’index d’égalité devrait alors être profondément modifié afin d’inclure la sous-valorisation des métiers féminisés et la comparaison des emplois. L’État doit impulser la revalorisation des métiers féminisés. Il se doit de donner l’exemple, en tant qu’employeur, en revalorisant immédiatement les emplois et carrières à prédominance féminine de la Fonction publique. Il peut aussi s’engager en tant que financeur des secteurs sanitaires, sociaux, éducatifs et de la dépendance.
L’égalité salariale entre femmes et hommes doit enfin passer par la reconnaissance des métiers féminisés. Et si le monde de demain appliquait déjà le droit d’aujourd’hui et revalorisait enfin les salaires et les carrières des métiers à prédominance féminine ?
Séverine Lemière, Université Paris-Descartes
et Rachel Silvera, Université Paris-Nanterre,
toutes deux sont membres du réseau de recherche MAGE (Marché du travail et genre)
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