La culture du viol, sous le soleil exactement

Ces cartes postales vous les connaissez toutes et tous, images sexy pour certain.e.s ou objets sexistes pour d’autres, elles sont en vente dans la plupart des magasins de souvenirs et des librairies des zones touristiques. Femmes solidaires est à l’initiative d’une campagne estivale dénonçant la vente de ces cartes postales.

Difficile de les trouver à Paris ou Lyon où elles sont quasi inexistantes. Elles pullulent toutefois dans les villes de Bretagne et des Bouches-du-Rhône, même les plus chics. Cet été, l’association Femmes solidaires, présente dans 190 villes de France, a lancé une campagne nationale pour dénoncer l’impression et la vente de cartes postales sexistes, souvent grossophobes et parfois même racistes. Selon l’association féministe d’éducation populaire, « elles concourent à la “culture du viol” qui impose une image dégradante des femmes, et participent à légitimer et banaliser les violences faites aux femmes ».

Ces cartes postales sont disponibles, étalées à la vue de tous et toutes. Elles peuvent être vendues, y compris les plus explicites, quel que soit l’âge des clients. Le fait de vendre des contenus à caractère pornographique aux mineurs demeure illégal. Or, certaines cartes mériteraient largement une classification porno… Chaque jour, Femmes solidaires a donc posté sur les réseaux sociaux une de ces cartes, montrant les différentes thématiques récurrentes que leurs éditeurs catégorisent comme des « cartes de charme » ou « humoristiques ».

Cette campagne, commencée dans le plus grand secret depuis le printemps, a permis la collecte de plusieurs centaines de cartes postales différentes en quelques semaines et a ainsi pu montrer l’étendue du phénomène et la pertinence de sa dénonciation. Des dizaines de cartes ont été envoyées à l’association par des internautes pendant les trente jours de campagne, souvent encore plus « trash » que les premières achetées par les militantes.

Un objet dépassé ?

Cette campagne a fait l’effet d’une bombe dès les premiers jours. Elle a été largement médiatisée avec quatre-vingts reportages dans la presse écrite, à la télévision et dans les radios, ce qui a obligé les éditeurs cités par l’association de bricoler des éléments de langage pour se défendre, se cachant notamment derrière tout un argumentaire qui ne tient souvent pas la route. Ces cartes postales seraient datées : elles auraient été produites dans les années 80. Comment expliquer alors les références à Facebook, au bio… ? Par ailleurs, la blancheur impeccable du papier des cartes trahit une impression récente. De toute façon, ces cartes postales, quelle que soit leur date d’impression, continuent aujourd’hui à porter atteinte à l’image des femmes. Elles sont sexistes, donc illégales.

Les défenseurs de ces cartes postales objectent qu’elles sont finalement très peu vendues, et interrogent le sens des priorités des féministes. Cependant, bien qu’interpellés par de nombreux médias, ces éditeurs réunis au sein de l’Union professionnelle de la carte postale (UPCP) n’ont jamais fourni de chiffres vérifiables sur leur vente. Le chiffre officiel des ventes de carte postales est de 250 millions d’euros chaque année (pour un chiffre d’affaire de 350 millions d’euros en 2014) dont 80 % pendant l’été, ce qui laisse une perspective financièrement intéressante pour la vente des cartes postales sexistes.

Dans un article de L’Obs.fr datant de 2016, Bernard Bouvet, président de l’UPCP, explique que la vente de cartes postales ne se porte pas trop mal. « Avec les nouveaux usages d’internet, nous étions un peu inquiets il y a quelques années, mais force est de constater que les Français gardent cette habitude d’acheter des cartes postales quand ils voyagent, même s’ils en envoient moins et qu’ils partent moins en vacances », explique-t-il. Partant du principe qu’un produit qui ne se vend pas ne reste pas sur les étals d’un commerçant, la place occupée par les cartes postales sexistes sur les présentoirs est un signe qu’elles se vendent (toujours) assez bien. Lorsqu’elles trônent chez un commerçant, elles ne prennent généralement pas moins de 20 % du présentoir. Faisons un rapide calcul : si elles ne représentaient que 10 % du chiffre d’affaires annuel du marché (ce qui reste une cote basse), elles génèreraient déjà 35 millions d’euros par an. Une très bonne raison de faire passer les féministes pour des hystériques coincées, sans humour, frustrées… La non-classification de ces images en supports pornographiques demeure un cadeau fait aux éditeurs. Dans le cas contraire, elles ne seraient plus en vente libre et donc moins achetées. La bataille qui s’ouvre avec cette campagne n’est pas seulement celle des valeurs mais celle des lois du commerce.

Les féministes ne sont pas drôles

Les critiques de la campagne ont répété à l’envi qu’elle était une preuve du manque d’humour des féministes. L’humour nécessite une forme de décalage, une ironie, que le sujet soit poussé à la caricature. Que dire des images brutes qui montrent des femmes nues offertes et consommables sans aucun… recul ? La pornographie est-elle, par sa seule existence, drôle ? Les éditeurs et détracteurs ont par ailleurs mis en avant que ces cartes faisaient partie de la culture populaire de notre pays et que l’association s’en prenait à un pan entier de la « gauloiserie française ». Cette dernière remarque est sans doute la plus pertinente : Femmes solidaires a effectivement l’ambition de faire disparaître ce qui, dans la culture des pays, encourage les violences faites aux femmes, dont les agressions sexuelles, et c’est ce que l’on appelle la culture du viol.

Pour chacun.e de nous, il faudra sans doute faire le deuil de films, chansons qui paraissaient acceptables et qui ne le sont plus aujourd’hui car racistes, sexistes ou anti-écolo. Mais est-ce si grave d’avancer sur les valeurs émancipatrices ? La culture n’est – heureusement – pas un phénomène immuable, mais bien le reflet d’une époque.

La culture du viol ça existe et ça suffit

Alors qu’est-ce que la culture du viol ? S’il y a des questions sur la définition du concept, elles sont forcement légitimes. Dans une tribune publiée sur France tv info le 13 août, afin de préciser leur pensée, les militantes de Femmes solidaires déclaraient : « Beaucoup d’internautes nous interrogent sur la culture du viol, certain.e.s allant jusqu’à nier sa réalité. Il existe indéniablement une culture du viol dans notre société. Nous sommes imprégné.e.s depuis notre enfance par l’idée que les femmes sont offertes, qu’il n’est pas
nécessaire d’obtenir leur consentement pour quoi que ce soit et notamment des relations sexuelles. Les violences faites aux femmes, dont le viol, ne sont pas des faits divers mais des faits de société qui s’inscrivent dans un continuum. Les violences sont rendues possibles et parfois socialement acceptables car elles sont précédées de discriminations envers les femmes, elles-mêmes permises par des stéréotypes encore très présents (…). Avec cette campagne #GenerationNonSexiste nous avons la même ambition : faire disparaître les stigmates d’une société qui encourage les hommes à être des prédateurs virils et les filles des objets consommables. Nous avons les un.e.s et les autres une autre vie à vivre, une vie d’égalité, libérée des carcans du patriarcat et du sexisme. »

Déconstruire, c’est possible

La culture du viol existe bel et bien dans notre société comme la culture du tabagisme et la culture du racisme ont existé de façon banalisée. Les héros masculins dans les films et séries, les actrices incarnant des femmes libres, les journalistes ou encore les personnages de bandes dessinées arboraient fièrement… une cigarette il y a encore quelques années. Ainsi, des générations d’enfants ont intériorisé que pour être un homme viril ou une femme libre, une personne importante, il fallait fumer. Heureusement, des politiques vigilantes de santé publique ont fait cesser cela. Il en a été de même pour le racisme. Combien de publicités vantant une célèbre marque de chocolat en poudre avec un tirailleur sénégalais, combien de Tintin au Congo, de Robinson Crusoé avons-nous eu à dénoncer pour qu’enfin le racisme soit reconnu comme un délit ? Culture du viol, du tabagisme ou du racisme : les mécanismes de banalisation sont les mêmes.

Insultes à volonté

La campagne a vu se déchaîner des flots d’insultes, de propos grossiers envers les militantes de l’association avec des effets de meute sur internet allant jusqu’à des menaces, principalement de militants masculinistes, qui ont provoqué la fermeture temporaire de la page Facebook de Femmes solidaires pour diffusion de contenu pornographique. Certains d’entre eux continuent à arborer des incitations à la haine des femmes et des portraits d’Hitler sur leur page, prouvant une fois de plus que nous sommes bien au centre d’un débat de société et qu’il ne s’agit pas de querelles anecdotiques. Pour ces mêmes réfractaires au changement, Femmes solidaires dénoncerait le sexisme de ces cartes postales par pure jalousie. Les féministes ne seraient pas jolies. Quelle femme ne rêve pas en effet d’être considérée comme un objet sexuel au service des fantasmes masculins ? Combattre ou soutenir ces cartes postales revient à choisir dans quelle société nous souhaitons vivre.

Ce n’est qu’un au revoir

La campagne prend fin avec la fin des vacances et la rentrée des classes, mais dans un communiqué via les réseaux sociaux, les militant.e.s de Femmes solidaires font savoir que si le pari est réussi quant à l’ouverture d’un débat dans notre pays, elles donnent rendez-vous dans quelques semaines aux internautes pour une nouvelles dénonciation des objets sexistes en vente près de chez vous.

Carine Delahaie

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