Numéro 198 – Juillet 2023

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« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne… »

Beaucoup d’entre nous se souviennent de ce qu’ils faisaient quand ils et elles ont appris que Marie Trintignant était entre la vie et la mort. Le temps est resté suspendu pendant quelques heures sous l’écrasante chaleur d’une canicule sans précédent. Puis la vérité nous est arrivée comme un coup de poignard. Elle était morte sous les coups de l’homme qu’elle pensait être son compagnon… Bertrand Cantat… LE Bertrand Cantat, chanteur de Noir Désir, le symbole de tout une génération, celui qui avait su redonner à la France les couleurs du rock, Cantat l’alternatif, le vrai, le pur, celui que le système n’aurait jamais, celui-là même était un salaud… Depuis, on a déchanté et les salauds ont succédé aux salauds. Nos héros sont tombés et avec eux nos illusions. Mais, Marie, tu étais la première qui allait lever le voile sur l’universalité des féminicides. Dans tous les milieux, de toutes les cultures, dans tous les quartiers, aujourd’hui nous le savons comme les soixante-et-une femmes tombées sous les coups de leur conjoint ces six premiers mois de 2023.

Quelques mois plus tôt, le meurtre de la jeune Sohane Benziane était plus lisible, vu des beaux quartiers et des plateaux de télé par ces journalistes qui ne descendent jamais en périphérie. Une jeune femme libre était brulée vive dans un local poubelles dans un quartier de Vitry-sur-Seine, un de ces quartiers décriés, dégradés, la cité Balzac. L’histoire d’un garçon mal éduqué, un caïd de banlieue, paumé, violent comme sa cité…

Mais cette fois, il s’agissait de Marie Trintignant, une actrice connue, la fille d’un très grand acteur, sur le tournage d’un téléfilm sur Colette réalisé par sa mère, Nadine Trintignant… Vous étiez deux femmes libres, vous avez porté sur vos ailes se déployant les espoirs de toute une génération de féministes qui se sont construites dans le sillage de vos vies trop vite arrachées. La France a ouvert les yeux sur une réalité qui touchait tant de femmes jusqu’à vous. Mais ensemble, sans même vous connaître, vous avez fait bouger les politiques, éveillé les consciences. Vous nous avez tant donné que nous vous sommes à jamais reconnaissantes pour votre courage d’avoir voulu être vous.

Quand un soir, dans un théâtre parisien, j’ai entendu Jean-Louis Trintignant, déjà aveugle, réciter une lettre d’Hugo à sa fille disparue… J’ai vu dans le noir la silhouette du vieux poète aux cheveux décoiffés et juste derrière le regard de Chérif Benziane, ton père Sohane… Apparition réconfortante de ces hommes qui vous avaient vraiment aimées, qui demeuraient fiers de leur fille, de votre courage, celui d’avoir été justement vous.

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends… »*

Carine Delahaie

  • Victor Hugo, extrait du recueil Les Contemplations (1856).
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