Livre Accès, entretien avec Virginie Brivady

livresL’invisibilité des personnes en situation de handicap dans notre société est un phénomène difficile à inverser. Sans marginaliser les personnes en situation de handicap et sans se focaliser sur une forme de handicap, la librairie en ligne Livre Accès a le projet ambitieux de mettre en lien des livres adaptés et un public le plus large possible. Les livres adaptés sont universels, pour personne en situation de handicap ou non. Entretien avec sa fondatrice, Virginie Brivady.

Quand l’aventure Livre Accès a-t-elle débuté ?

J’ai lancé le site Livre Accès en septembre 2012. Au début, l’idée était juste d’avoir un référencement de livres adaptés pour tous, pour pouvoir renseigner les parents et les professionnel.le.s. Mais au fur et à mesure, beaucoup de monde m’a demandé où était le petit panier pour acheter les livres. Ainsi, en septembre 2015, est née l’idée d’une librairie en ligne.

L’idée pour vous est de normaliser l’usage des documents adaptés ?

Oui, cela va dans le sens de l’école inclusive, de l’école pour tous. Souvent les gens associent livres adaptés à livres pour handicapé.e, or les livres adaptés sont des ouvrages accessibles à tous et toutes et pas seulement aux enfants en situation de handicap. Ce sont des livres qui se partagent. Un album pour dyslexique, où la police de caractères est adaptée, peut tout à fait être lu par un enfant dit ordinaire.

Le contenu des ouvrages est-il aussi varié que pour les livres non adaptés ?

Non, hélas. Aujourd’hui, je n’ai que 250 livres référencés. Pour beaucoup ce sont des créations jeunesse spécialement réalisées de façon adaptée. J’ai pu recenser beaucoup de livres entre trois et neuf ans, la difficulté arrive surtout pour les ouvrages étudiés en secondaire.

Comment expliquer qu’il y ait aussi peu d’ouvrages adaptés ?

Je n’ai pas la réponse à cette question. Dans l’absolu, il n’y a véritablement aucune raison que ces documents ne soient pas plus nombreux. Il suffit de peu, il est tellement simple d’utiliser une police de caractères adaptée, d’écrire plus gros ou de mettre des interlignes plus grands. Ces solutions ne sont bien sûr pas miraculeuses mais ce sont des aides précieuses à la lecture. Dès que l’on parle de handicap, les professionnel.le.s de l’édition entendent «secteur de niche, peu de rentabilité…»

Les grands classiques sont les grands absents de vos rayons ?

Même les grands classiques que l’on étudie au collège ou au lycée ne sont pas adaptés. Il y a parfois des questions de droits d’auteur.e.s et les éditeurs et éditrices disent qu’il faut du temps pour écrire un livre adapté et que, les programmes changeant régulièrement, il est donc peu rentable d’éditer un de ces ouvrages pour un ou deux ans.

Est-ce que ce n’est pas un faux problème car des ouvrages comme Tartuffe de Molière reviennent tous les ans ?

Oui, c’est vrai. Mais les gens ont-ils véritablement envie de changer ? Il y a des personnes qui essaient de bousculer les choses, mais derrière rien ne bouge vraiment. À part une ou deux exceptions, pour ces œuvres classiques je référence des livres en gros caractères qui étaient à l’origine destinés aux personnes âgées ou malvoyantes. Pour les dyslexiques, on conseille des polices en 14 voire plus. Or c’est un bonheur pour tous et toutes de lire lorsque le texte est aéré et en gros, c’est moins fatiguant visuellement. Alors pourquoi cette inertie ? Je vais vous raconter une anecdote. Une personne de mes connaissances m’a un jour dit sa volonté d’écrire une histoire pour enfants. Je lui ai dit: « Super! Tu vas pouvoir le faire adapter pour les dyslexiques ? » Il m’a répondu: «Ben, pas tout de suite. Dans un premier temps, je voudrais le faire en version classique…» La notion de handicap fait peur aux gens comme une maladie qui s’attraperait et, du coup, ils ne font pas l’effort de savoir ce que c’est réellement.

Pensez-vous qu’il y ait un manque de volonté politique ?

Je pense que c’est comme tout, lorsqu’ils ne sont pas concernés par le problème, les citoyen.ne.s sont peu réceptifs. Sur la question de la modification de l’orthographe, je suis assez puritaine. Nous préférons changer l’orthographe plutôt que faire tout notre possible pour que tous et toutes puissent l’apprendre facilement. Nous sommes capables de retirer le «i» de oignon dans les programmes scolaires mais incapables d’adapter ces mêmes programmes aux personnes dyslexiques ou ayant un autre handicap.

Cette réforme est insatisfaisante ?

Notre langue c’est aussi notre culture, le reflet de notre histoire. Cette réforme aurait pu être l’occasion de rendre les textes plus abordables. Par exemple, dans les livres que j’ai en référence, il y a des livres « faciles à lire et à comprendre ». Ce sont des petits romans avec sur la page de gauche le texte original et sur la page de droite une version «facile à lire et à comprendre ».

Ne pensez-vous pas que si certains documents sont étudiés, c’est aussi pour leur complexité, la façon dont la langue y est maniée, les figures de style ?

Un style très sophistiqué peut faire l’effet inverse. Il y a peut-être une autre manière d’aborder les choses, une autre manière d’étudier notamment les métaphores et autres. Une façon plus simple, moins lourde. Il faut que les enfants lisent par plaisir et non par obligation. Il y a bien sûr des choses qu’il faut étudier, mais il faut que ce soit du plaisir.

Aujourd’hui, les jeunes lisent de moins en moins de livres. Pensez-vous qu’il y ait un lien avec cette complexité de la littérature ?

Je pense surtout qu’ils ne lisent pas par plaisir d’où un désintérêt. Ça les « gonfle » ! Tout dépend aussi comment on amène la lecture. Aujourd’hui, la lecture est partie prenante de l’école mais reste une corvée pour beaucoup d’enfants. Après tout, peu importe s’ils lisent quelque chose de simple, le principal est de lire ; ce qui pourra par la suite les amener à des lectures plus complexes. Il faut encourager ces enfants et ne pas les laisser seul.e.s face à leurs difficultés.

Propos recueillis par Gwendoline Coipeault et Kévin Védie

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