La liberté n’est ni occidentale ni orientale, elle est universelle

En ce début d’année 2019, quarante ans après la Révolution islamique iranienne, l’écrivaine Chahla Chafiq publie un livre intitulé Le rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir.

L’histoire n’est pas, en réalité, un éternel recommencement. Elle s’inscrit dans une continuité, aussi mathématique que les chiffres, telle une suite logique.

En tant que démocrate, féministe, je me suis souvent sentie gênée vis-à-vis des exilées, notamment mon amie Chahla Chafiq ou mes amies algériennes, fuyant les violences de leur pays, s’accrochant à l’espoir d’une laïcité universelle en France au prix de déchirements psychologiques et affectifs d’une grande violence. Comment pourrait-elle nous pardonner ce sabordage démocratique auquel nous assistons ? Comment accepter de les voir revivre toujours le même scenario, un mauvais remake ?

Comment la banalisation de l’islamisme a-t-elle pu opérer en France et comment la gauche peut-elle être aussi complaisante avec l’islam politique après avoir été aussi anticléricale avec l’église catholique ? C’est dans ce livre pédagogique et rigoureux où Chahla Chafiq la sociologue et Chahla Chafiq l’écrivaine se rencontrent dans le style et la sensibilité, que j’ai trouvé de nouvelles réponses pour mieux comprendre ma propre histoire. L’autrice y rappelle comment les révolutions prennent systématiquement leurs distances avec l’émancipation des femmes, alliant libéralisme et jouissance (sexuelle), démocratie et capitalisme.

L’histoire commence comme une fiction. À Téhéran, du 8 au 13 mars 1979, les Iraniennes s’engagent dans des marches pour s’opposer à la menace d’obligation du port du voile par Khomeiny. Des féministes « occidentales » vont venir les soutenir dans la capitale iranienne. Suit un récit passionnant, très enthousiasmant, où nous croisons la jeune Chahla confrontée aux frustrations et aux violences d’un système qui la considère comme intoxiquée par l’occident. Dans cette situation de menaces permanentes envers les Iraniennes, Simone de Beauvoir est attendue à Téhéran. Kate Millet vient d’en être expulsée quand finalement, à la place de l’écrivaine française, c’est une délégation du Comité international du droit des femmes dont elle est la présidente qui va se rendre à Téhéran pour supporter les Iraniennes et rendre vivante, en l’incarnant, la pensée de Simone de Beauvoir.

Simone de Beauvoir n’ira finalement jamais en Iran mais à partir de cette absence, Chahla traque la présence de l’écrivaine comme on cherche un parfum, les traces d’un amour perdu mais toujours un peu vivant, un amour fondateur qui structure encore notre vie bien des années après qu’il ait pris fin : « Quant à Simone de Beauvoir, elle reste là, à tendre un miroir à d’autres jeunes en recherche de soi », exprime-t-elle. Et elle va la retrouver, bien plus que Sartre d’ailleurs, dans la soif de liberté des femmes iraniennes et plus largement dans les pages des blogs, des articles, des démocrates sur trente ans. À partir de l’analyse de ce que Chahla Chafiq appelle la thèse beauvoirienne à l’épreuve de la Révolution iranienne, la démonstration est sans appel : l’identité culturelle n’existe pas. Elle ne peut justifier le port du voile, les violences contre les femmes, ce projet politique n’a pas plus de légitimité à Téhéran qu’à Paris.

À la redécouverte d’une histoire iranienne qui est la sienne, Chahla donne des clés sur des enjeux majeurs du socle républicain français pour comprendre comment l’islamisme a réussi à faire sa place dans « ses » deux pays et finalement dans « nos » deux pays. Le cheminement intellectuel est audacieux : à partir de l’expérience d’un pays de culture musulmane, l’autrice démasque l’absurdité d’un islamisme qui asservit les peuples avec leur consentement. Finalement, c’est depuis Téhéran que nous comprenons ce que nous vivons en ce moment à Paris. Le moment est venu de reconnaître que l’Iran a joué un rôle majeur dans l’Histoire des pays qui dépasse le prisme de l’économie et du pétrole. Quelque chose de plus grand que notre propre histoire s’est joué à Téhéran dans les années 70.

Ce « retour au pays natal » de l’écrivaine Chahla Chafiq est un brûlot nécessaire face aux certitudes d’un milieu intellectuel français gangrené par le relativisme culturel qui amène systématiquement la fin de la libre pensée et donc à l’obscurantisme.

Carine Delahaie

 

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