Au petit matin du 18 mars 1871, la butte Montmartre à Paris est en effervescence. Les soldats de Thiers sont là ! Ils tentent de s’emparer des canons que les parisiens ont achetés par souscription populaire pour défendre la capitale contre les armées prussiennes. Le peuple de Paris refuse ces conditions. Il veut se battre. Aux avant-postes se trouvent les femmes.
Dès le premier jour de l’insurrection, les femmes de Montmartre, tôt levées, sont alertées par le bruit des militaires. Elles entourent les canons, les protègent, interpellent les soldats : « C’est indigne ce que vous faites là… » Lissagaray, auteur en 1873 d’une Histoire de la Commune, rend compte de l’attitude des femmes, il écrit : « Elles n’attendent pas les hommes, elles ont eu double ration de misère. »
Des groupes arrivent de tous côtés sur la Butte. Par trois fois leur général, Claude Lecomte, leur donne l’ordre de tirer. Le sergent Verdaguer, qui sera fusillé par les Versaillais après la Commune, lève le premier sa crosse en l’air. Il est imité immédiatement par l’ensemble des hommes. Le général Lecomte est arrêté par ses propres troupes. Un autre général, Clément Thomas, bien connu des Parisiens pour avoir réprimé la révolte de 1848, a été vu rodant sur la butte. La foule conduit les deux hommes rue des Rosiers (actuellement rue du Chevalier de la Barre) et exige leur exécution. Des représentants de la Commune dont Ferré, Bergeret et Jaclard signent l’ordre aux soldats « de veiller sur les prisonniers », mais la colère populaire est trop grande. Même si le gouvernement de Thiers s’enfuit à Versailles, Paris n’est pas sans direction. La Garde nationale prend le pouvoir et s’engage à le rendre après les élections décidées pour le 26 mars. Le 28 mars 1871, dans la liesse populaire, la Commune est proclamée sur la place de l’Hôtel de ville.
Les conditions de vie de ces femmes
Les conditions de vie sont rudes. L’annuaire statistique révèle l’ampleur du chômage puisque de 600 000 en 1870, les emplois sont passés à 114 000 en 1871 (dont 62 000 ouvrières). Les femmes représentent 33 % de la population active et gagnent moitié moins que les hommes soit 2,50 francs par jour pour 13 heures
de travail. Elles sont bafouées par leurs patrons, leurs chefs et même par leurs compagnons de travail. Chez elles, c’est l’enfer de la pauvreté. Beaucoup travaillent à domicile. On parle de prostitution obligatoire pour faire vivre la famille. On dit pudiquement que la femme va faire le 5e quart de sa journée.
Leur engagement dans la vie publique
Une immense volonté d’expression démocratique s’exprime notamment dans les réunions de clubs. Ces réunions rassemblent jusqu’à 1 000, 2 000 personnes. Les femmes exposent leurs revendications, prennent la parole, elles soutiennent ce nouveau gouvernement. Les femmes avancent des idées novatrices. Nathalie Le Mel déclare : « Les ateliers dans lesquels on nous entasse vous appartiendront. Les outils seront à vous. » Marguerite-Victoire Thynaire, désignée par le gouvernement de Thiers pour gérer l’éducation et les écoles, se met au service de la Commune. Marie Verdure participe à la rédaction d’un mémoire pour la création de crèches qui commence par l’affirmation : « L’éducation commence le jour de la naissance ». Il faut à cet effet noter la modernité de cette réflexion.
Le 3 avril 1871, 500 femmes partent de la place de la Concorde pour marcher sur Versailles. Au Pont de Grenelle, elles sont rejointes par 700 autres. Les dirigeants de la Commune leur enjoignent de ne pas sortir de Paris. La sortie n’a pas lieu mais, devant une telle volonté féminine, la nécessité de s’organiser s’impose. Le 11 avril 1871, est créée l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Elles mettent en place un comité central composé de vingt déléguées représentantes des arrondissements. Certaines d’entre elles participent aux commissions gouvernementales mises en place par la Commune pour gérer la ville.
Ainsi, bien que non élues, elles s’imposent comme citoyennes et transmettent efficacement les revendications des femmes. Sous la Commune, les élus révocables et corsetés par un mandat impératif sont soumis à la pression populaire. Le mouvement des femmes a su parfaitement exercer cette pression.
Leurs acquis
Dès l’origine de l’association, Elisabeth Dmitrieff prévoit la création d’une ligue militaire des ouvrières de Paris. Le 13 mai, une délégation de femmes se rend à l’Hôtel de ville pour réclamer des armes. C’est cette volonté de se battre qu’incarne Louise Michel qui durant toute la Commune fut une « soldate ».
De son côté, l’Union des femmes, courant avril, réclame des salles pour organiser des conférences. Les femmes discutent beaucoup des décisions militaires qu’elles trouvent indispensables, notamment celle de marcher sur Versailles. Elles ont gagné le droit d’être ambulancières. Mais, sur le terrain militaire, elles ne sont pas toujours bien accueillies et André Léo, dans son journal La sociale, relève l’attitude de certains officiers qui chassent les femmes des avant-postes. Des viols ont eu lieu, elles les dénoncent.
Au-delà de l’engagement d’ambulancières, elles feront le coup de feu, comme Louise Michel, aux côtés des hommes. Au Club Séverin, femmes et hommes applaudissent la création d’un bataillon féminin. C’est un des rares cas de la volonté de la Commune d’organiser les femmes militairement.
Elles pétitionnent pour faire remplacer les religieuses dans les hôpitaux, les écoles et les prisons. Il faut rappeler que, le 2 avril, la Commune vote la loi de séparation de l’Église et de l’État. Elles obtiennent la fermeture de maisons de tolérance. Les femmes sont aussi à l’origine de la reconnaissance de l’union libre, puisqu’elles obtiennent l’attribution de pension aux veuves de fédérés mariées ou non et aux orphelins légitimes ou naturels.
Imposant le décret du 16 avril 1871 de réquisition des ateliers abandonnés par les patrons partis se réfugier à Versailles (les Francs fileurs), les communardes recensent les chômeuses. L’Union des femmes ne veut pas seulement mettre en place des ateliers pour pallier le manque de travail. Elles réclament l’égalité des salaires entre femmes et hommes.
Cependant la très courte durée d’existence de la Commune (72 jours) ne permettra pas la réalisation de cette demande dans sa globalité. Nous trouvons juste les prémices d’une tentative d’égalité, instaurée le 21 mai, pour les enseignant.e.s*. La commission d’enquête et d’organisation du travail dirigée par Léo Fränkel, commission à laquelle participent plusieurs dirigeantes de l’Union des femmes, annonce une réunion de toutes les corporations ouvrières des deux sexes. Le 21 mai 1871 par voie d’affiche, l’Union des femmes répond favorablement à cet appel. Cette réunion est ajournée car il y a une grande fête donnée place de la Concorde au profit des veuves et orphelins des Fédérés. Le 21 mai, c’est aussi le jour de l’entrée des troupes versaillaises dans Paris, cette réunion reportée n’aura ainsi jamais lieu.
La répression
Durant la Semaine sanglante (21-28 mai), les femmes continuent à tenir la rue. Marc de Villiers, un écrivain versaillais, raconte à propos d’une des barricades tenue par des femmes, proche de la mairie du Xe, (siège de l’Union des femmes) : « Un grand nombre de femmes prises les armes à la main furent sur-le-champ fusillées. » Seul le risque d’épidémie mettra un terme à cette sanglante répression.
Paris n’abandonne pas, elle est couverte de barricades (plus de 900). Nous retrouvons André Léo sur la barricade des Batignolles, Louise Michel à la barricade de la Chaussée Clignancourt avec Marguerite Diblanc, Elisabeth Retiffe, cantinière au 135e bataillon, est rue de Lille avec Eulalie Papavoine. Nathalie Le Mel a entraîné une cinquantaine de femmes qui tiennent une barricade place Blanche… Toutes savent pertinemment que la partie est perdue. Pourtant elles ne fuient pas ! La répression sera terrible. Plus de 1 000 femmes, selon l’enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, furent arrêtées. Elles furent humiliées, souvent traitées de prostituées. Et parce que Paris s’enflamme pour se défendre, elles sont baptisées les « pétroleuses » par les Versaillais.
Parmi les plus lourdes peines, 29 femmes sont condamnées aux travaux forcés, 20 à la déportation dans une enceinte fortifiée, 16 à la déportation simple. Après les jugements, certaines sont transportées vers la centrale d’Auberive en Haute-Marne, puis transférées à La Rochelle pour être ensuite embarquées pour la déportation en Nouvelle-Calédonie.
Durant toute la déportation, elles ne cessent à aucun moment leur combat. En 1879, l’amnistie partielle est proclamée, l’amnistie totale le sera le 11 Juillet 1880.
En français, le mot amnistie à la même origine qu’amnésie et c’est bien cela que le gouvernement de l’époque a voté. Il faut dire que c’est assez bien réussi, très peu de personnes connaissent ce moment de l’Histoire. Se pose aujourd’hui une question d’actualité : la réhabilitation de ces bagnard.e.s dont le crime a été de vouloir changer le monde ne serait que justice. Leurs assassins, leurs tortionnaires n’ont pas été jugés. Ils ont même été décorés.
Claudine Rey
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