« Ensemble, nos voix sont plus fortes que le silence ! »

Le Mouvement des survivantes de viols et violences sexuelles en République démocratique du Congo a été créé en 2017 à Bukavu. Cette organisation compte aujourd’hui plus de 2000 femmes et 58 hommes sur le plan national. Son objectif principal est d’amener toutes les femmes et tous les hommes à briser le silence. Rencontre avec Tatiana Mukanire, coordinatrice nationale du Mouvement des survivant.e.s de viols et violences sexuelles.

Pourquoi avoir créé ce mouvement de femmes ?

Pendant trop longtemps, les survivantes ont été oubliées. On parlait en leur nom. Les gens disaient : « Vous parlez des survivantes, mais où sont-elles ? Elles ne parlent pas ? Existent–elles ? » Mais le problème était que les survivantes elles-mêmes n’arrivaient pas à parler. Il était important qu’elles puissent se prendre en charge, comprendre que ce qui leur était arrivé était bien cette réalité qui les poursuit au quotidien. Pendant un moment, il se disait dans le pays que les violences sexuelles étaient héréditaires puisque souvent les grands-mères, les mères et même les filles d’une même famille étaient violées. Il est donc important de briser ce silence. Notre défi est d’amener la personne à combattre ces violences. Les survivantes ne parlent pas car elles ont honte. Pourtant, c’est l’auteur qui devrait avoir honte. De part nos coutumes, on oblige la victime à se sentir elle-même coupable. Il est donc important et essentiel aujourd’hui que les femmes se lèvent. Voilà pourquoi on a créé ce mouvement, à l’initiative du Dr Mukwege.

Comment les survivantes sont-elles prises en charge ?

Dans le mouvement, nous sommes toutes des survivantes. Nous avons toutes été victimes de violences sexuelles, de viols. Nous voulons mettre toutes les survivantes ensemble pour lutter contre ces violences. Quand on est survivante, on est malade dans son corps, dans son psychisme. On est malade à l’intérieur. Une partie de la guérison est de s’assumer dans son corps. La tête est là et le corps de l’autre côté. Nous commençons par faire un premier accueil des femmes pour recenser pour le secours médical celles qui ont déjà vu un médecin. Toutes les survivantes n’ont pas eu la possibilité d’être soignées depuis leurs viols. Nous les aidons médicalement et psychologiquement. Nous faisons aussi des sensibilisations dans les écoles pour lutter contre les viols et les violences sexuelles en créant des clubs contre les violences sexuelles. Nous organisons aussi des Le Mouvement des survivantes de viols et violences sexuelles en République démocratique du Congo a été créé en 2017 à Bukavu. Cette organisation compte aujourd’hui plus de 2000 femmes et 58 hommes sur le plan national. Son objectif principal est d’amener toutes les femmes et tous les hommes à briser le silence. Rencontre avec Tatiana Mukanire, coordinatrice nationale du Mouvement des survivant.e.s de viols et violences sexuelles.plaidoyers auprès des ONG nationales et internationales et des sensibilisations dans nos communautés. Nous faisons des visites à la maison pour encourager les femmes et les hommes à parler.

Il y a également des hommes dans votre association ?

Les hommes sont nombreux à avoir subi des violences mais peu à avoir osé une parole et ceci est très récent. Ils ont été violés pour certains en 2004, pour d’autres plus récemment, en 2014. Notre objectif est de montrer que ce n’est pas humiliant de parler. Un enfant issu du viol, on ne le cache pas ; une femme qui ne peut pas accoucher, on ne la cache pas. Quand on a été violée devant 150 personnes, c’est difficile de le cacher. Malheureusement, notre communauté — hommes et femmes — n’arrive pas à comprendre que c’est important de parler. Des fois, la femme qui parle se sent mal à l’aise, car la communauté ne compatit pas. Chaque mois, nous avons deux campagnes de sensibilisation de porte-à-porte. On va chez les gens discuter sur le viol, on va faire du lobbying auprès des hommes, des familles pour qu’ils acceptent qu’une telle chose est bien arrivée et que c’est de leur devoir d’aider la personne.

Vous avez créé des mutuelles de solidarité, qu’est-ce que c’est ?

Nous invitons les survivantes à rejoindre ces mutuelles de solidarité. Ces structures mettent ensemble des femmes survivantes, des hommes survivants, et des femmes de la communauté pour les amener à renforcer leurs activités génératrices de revenus. Dans les mutuelles, il y a 30 à 50 personnes qui cotisent de l’argent chaque semaine. Elles se retrouvent une fois par semaine pour discuter de leurs problèmes, s’entraider. Elles ont trois caisses : la bleue c’est le capital, à la fin de l’année on partage l’argent, la verte est la caisse pour t’aider dans ton activité et la rouge c’est la caisse sociale pour les deuils et les mariages. Les mutuelles sont quelque chose de pérenne. C’est une porte de sortie pour les survivantes. Elles se retrouvent avec toute la communauté, pas seulement entre survivantes. À Bagheera, par exemple, les femmes partagent cinq champs. Il y a une réunion tous les mardis. Après l’appel des femmes, les femmes discutent entre elles de la récolte, des problèmes des unes, des autres, des enfants…

Lorsqu’une femme ne va pas aux champs, si elle ne vient pas à une réunion, elle paie une amende. Cet argent va dans la caisse bleue et sera ainsi redistribué à chacune. Une femme forte doit supporter et respecter ses engagements. Une femme forte doit travailler, chercher comment faire vivre sa famille. Elle ne doit pas rester à la maison à attendre. Beaucoup de survivantes ont des enfants nés du viol. Au sein de la mutuelle, une attention particulière est portée à ces enfants très souvent rejetés, mis de côté dans les familles, que l’on appelle les « enfants serpents ». Pour éviter le vagabondage de ces enfants, elles s’organisent. Elles vont voir les familles pour faire une médiation familiale. C’est avec les activités génératrices de revenus qu’elles paient l’école des enfants. Elles se cotisent pour venir en aide à ces enfants qui n’ont rien.

Quelles sont vos perspectives ?

Dans quelques mois, nous allons mettre en place, en partenariat avec Fight For Dignity, association créée par Laurence Fischer, des séances de karaté en utilisant la méthode Fischer, adaptée aux femmes victimes de viols et violences sexuelles dans différents lieux en RDC. Nous avons la volonté de développer notre mouvement en créant des antennes sur toute la RDC pour ensemble briser le silence !

Propos recueillis par Sabine Salmon

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