Ça y est, je l’ai fait. Si, si, je vous jure, j’voulais pas parce que je suis plus underground que ça. Et puis je suis une vraie journaliste qui s’intéresse à des sujets « sérieux ». Excusez du peu… Bon, L’amour est dans le pré, j’avoue, j’avais déjà regardé mais bon j’ai des excuses, mes racines paysannes. Et puis Je suis un peu écolo quand même. La nature, le grand air… Je l’ai fait, j’ai regardé Une ambition intime…, l’émission de Karine Le Marchand. Vraiment, le plus grave c’est pas qu’elle ait « dragué » Marine Le Pen. Mais la voir la défendre face à Patrick Cohen comme on défend une relation inavouable à la table familiale commençait à m’interloquer… Normal, une Noire qui défend une facho attaquée par un juif, on se croirait dans un sketch de Nicolas Bedos… En sait-on plus sur les politiques quand on sait s’ils sont slip kangourou ou caleçon long ? Des décennies que les femmes journalistes tentent de s’imposer dans un monde masculin qui les cantonne à des rôles secondaires et voilà qu’en quelques heures d’antenne, la meilleure amie des cultivateurs d’endives nous réassigne au statut de séductrice, ne comprenant rien à la politique, préférant les chiffons et les histoires de la presse people. Je me sens d’un coup comme Sisyphe roulant son boulet, condamnée pour l’éternité à me battre pour donner aux femmes la place à laquelle elles ont droit dans les colonnes de cet humble magazine.
Dans nos démocraties, la liberté de la presse ne se résume pas à publier ce que l’on veut mais à créer de la pensée libérée de ceux qui vous financent.
Dans les dictatures, comme aujourd’hui en Turquie, le pouvoir continue de se resserrer sur la presse comme le serpent qui avale sa proie en une bouchée sanglante avant de lentement la digérer. Nous dédions ce numéro aux 170 organes de presse turcs fermés par le gouvernement d’Erdogan, à nos 105 consoeurs et confrères en détention dans les geôles turques, ainsi qu’aux 777 journalistes dont les cartes de presse ont été annulées, repoussant au 151e rang mondial ce pays quant à la liberté de la presse.
Sinon, à quand l’émission Une ambition intime sur les canapés des dictateurs de la planète ? Dans ma mémoire, me revient cette vieille bobine privée, tournée sur les terrasses du Nid d’aigle. On y voit tonton Adolf en famille, entouré de ses ami.e.s, il y a là des comédien.ne.s
et d’autres personnalités enchantées. Un dimanche de printemps banal en somme. Une image d’Épinal, une image de propagande cependant. Les temps ont-ils à ce point changé ? Et bien non. Le pire sanguinaire peut facilement passer pour un « bon père » de famille, un chic type agréable à ses hôtes… selon mon intime conviction.
Carine Delahaie
Édito du numéro 158 de Clara magazine (novembre 2016)
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