Sans ironie aucune en se remémorant ces oeuvres, ces artistes, en revisitant ces rendez-vous télévisuels qui ont produit du rêve et nous ont souvent aussi procuré du plaisir, donné l’envie d’avancer dans la vie, je me rends compte après une année de libération de la parole dans le milieu artistique qu’il nous faut faire le deuil d’une partie de notre enfance et de notre adolescence. La tumeur est énorme. Les exemples sont infinis de programmes, de chanteurs, d’acteurs, de chefs d’oeuvre du cinéma qui furent les théâtres de violences faites aux femmes ou qui véhiculèrent les idées les plus phallocrates ou tout simplement la haine des femmes. Comment faire l’impasse sur ces posters de David Hamilton accrochés dans nos chambres d’adolescent.e.s, ces séquences du Cocoricocoboy avec ses playmates et son gong noir tout droit sorti des colonies, l’adipeux Benny Hill harcelant sexuellement toutes les filles qu’il croisait, même celles qui avaient l’air d’être sa petite-fille, combien de shows des Carpentier (et si…) avec des potiches et des jeunes chanteurs à la moustache 70, de Sardou, de Claude François, la main conquérante sur la hanche d’une Jeane Manson ou d’une Petula Clarke soumises et souriantes. Combien enfin de soirées sur M6 en pyjama devant Cosby show, avec la gentille famille Uxtable dont l’acteur Bill Cosby incarnait le papa poule qui en réalité violait de jeunes actrices derrière les décors. Il nous faut faire le deuil de ce grand acteur français qui chante si merveilleusement Barbara, qui fut le jeune capitaine fougueux de Fort Saganne et l’avocat courageux de Rive droite, rive gauche, qui drague aujourd’hui un dictateur russe homophobe qui n’aurait pas laissé sortir Les valseuses. Les valseuses, ce film « culte » sur lequel il y aurait tant à dire… Les références s’enchaînent à l’infini, même en vacances, pas ou plus de « cartes postales roploplo » si drôles ou de tirebouchons zizi, de verres à bière pour « les blondes »…
Alors quel processus s’opère en certains d’entre nous pour être si violemment dans le déni, refuser qu’il existe une culture du viol, surtout quand une femme est violée dans notre pays toutes les 10 minutes ? Lutter, rejeter, vomir l’image de la femme objet et « son mâle » dominant, c’est rejeter un pan infini de notre culture, des codes sociaux qui nous ont forgé.e.s en tant qu’humains respectables, et souvent respectés. Ce qui nous a construit.e.s devient une part de nous. Rejeter ce qui est une partie de notre culture c’est un peu rejeter notre famille et qui nous sommes collectivement mais aussi individuellement. Pas facile. Cela revient à laisser une place à celle ou celui en nous que nous ne connaissons pas encore. Elle ou il en vaut la peine, ne lui fermons pas la porte.
Carine Delahaie
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