À l’occasion de mon précédent édito, j’évoquais le sort de la petite Mercy, née le 21 mars 2017 sur l’Aquarius, ce bateau qui rend sa fierté à notre continent, sauvant des migrant.e.s en Méditerranée alors que l’Europe les laisse mourir dans l’indifférence. Sa maman, jeune nigériane, avait embarqué en Lybie sur une coquille de noix dans un océan de peur. Mercy était alors venue au monde en mer. Selon l’AFP, plus de trente enfants sont né.e.s en Méditerranée depuis le début des traversées.
Alors que le 12 mai prochain, Emilie Satt et Jean-Karl Lucas défendront les couleurs de la France avec le titre Mercy inspiré de son histoire, l’Assemblée nationale adopte la loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » le 22 avril dernier. Dans le même temps, des journalistes de France Inter, Alessandro Puglia et Eric Valmir, retrouvent Mercy et sa maman Taïwo près de Catane, en Sicile, dans le plus grand camp de réfugié.e.s d’Europe. En fait, si la chanson finit par « Je vais bien merci… », nous n’en sommes pas vraiment sûr.e.s, la vie dans un camp de réfugié.e.s est assez terrible. Loin de moi l’idée d’assombrir le travail des deux artistes qui font leur job. Ils sont là pour ouvrir les champs du possible. Il n’est pas de leur responsabilité de construire des politiques publiques de solidarité, mais aux représentants politiques.
Et si Mercy et Taïwo réussissaient à passer en France, leur avenir ne s’éclaircirait pas de fait. Et si elles avaient été déboutées de leur droit d’asile, elles auraient pu être arrêtées par les forces de l’ordre et retenues par la France avec la nouvelle loi Asile et immigration jusqu’à 90 jours au mépris des condamnations de la Cour européenne des Droits de l’homme. Elle aurait eu bonne mine la France si finalement les deux journalistes avaient retrouvé la petite Mercy dans l’un des centres de rétention aux abords d’un de nos aéroports.
La maman de Taïwo ignorait l’existence d’une chanson qui représentera la France à l’Eurovision. « C’est très joli, je prie Dieu que cette chanson soit une réussite et que grâce à cela on puisse m’aider. Je n’ai absolument personne et je veux que mon bébé arrête de souffrir, ici dans ce camp. » Saura-t-elle partager sa victoire, cette France qui oublie qui elle est, cette France sans mémoire qui a déjà gagné l’Eurovision il y a quarante ans avec un titre prémonitoire : Comme un enfant, aux yeux de lumière…
Carine Delahaie
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