Geneviève Couraud préside la Commission Santé, droits sexuels et reproductifs au sein du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Elle nous présente la démarche et les réalités accablantes révélées par le rapport « Santé et accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité » dont elle est co-rapporteure.
Dès le début de nos travaux s’est imposée la nécessité d’en préciser le cadre. Nous avons tout d’abord pris comme critère la définition de la santé de l’OMS : « État complet de bien-être physique, mental et social. » Puis, nous avons considéré l’ensemble du parcours de vie des femmes et non pas seulement, comme c’est souvent le cas, leur rôle de reproductrices au travers des questions de gynécologie et du suivi obstétrique. Enfin, nous avons été attentif.ve.s à l’intersection d’inégalités liées au sexe et aux difficultés économiques et sociales : les inégalités entre les femmes en situation de précarité et les plus aisées s’ajoutant aux inégalités entre les femmes et les hommes.
L’état de santé des femmes en situation de précarité présente des spécificités liées à leurs conditions de vie, leur rapport à la prévention et leurs conditions de travail. À cet égard, nous avons déterminé en première partie du rapport quatre types de situations exemplaires d’atteinte de la santé ou « indicateurs de santé détériorée des femmes » qui mettent en évidence le lien entre un état de santé dégradé, la précarité et le genre :
Les maladies professionnelles, les accidents du travail et de trajet, maladies reconnues comme liées aux conditions de travail sont toujours plus nombreuses chez les hommes que les femmes. Mais l’écart diminue : depuis quinze ans, la hausse est deux fois plus importante pour les femmes. Entre 2000 et 2015, le nombre de maladies professionnelles reconnues pour des travailleuses a augmenté de 155 %. Cela concerne en premier lieu les activités de service (nettoyage, travail temporaire, santé) caractérisées par une forte proportion d’emplois précaires : les maladies professionnelles y connaissent une progression de plus de 300 % chez les femmes, du fait d’une meilleure connaissance des pathologies par les médecins, mais aussi du fait de la progression de ces maladies, consécutive à l’évolution du marché du travail et à la concentration des femmes sur certains types de postes, répétitifs et donc plus à risques.
Dans 9 cas sur 10, les maladies professionnelles concernent des troubles musculo-squelettiques (TMS), entraînant lombalgies ou tendinites, en explosion dans les fonctions d’agentes d’entretien, d’aides à domicile ou d’aide-ménagères, du fait de l’hyper-sollicitation des membres supérieurs et des postures inconfortables. 6 personnes sur 10 atteintes de TMS sont des femmes et les premières touchées sont celles qui travaillent dans les secteurs de la grande distribution, du soin ou des services à la personne.
Même constat pour les accidents du travail et de trajets. Ils sont en forte augmentation chez les femmes et ce depuis quinze ans. Or les femmes en situation de précarité sont les premières concernées : dans les secteurs cités, souvent en lien avec les emplois multiples, les accidents de trajet ont augmenté de 43 % depuis 2001. Cumulant obligations professionnelles, responsabilités familiales et domestiques, les femmes précaires sont plus exposées aux accidents de la route.
La santé mentale est aussi centrale. S’il est notoire que l’anxiété augmente de façon corrélée avec la précarité pour les femmes comme pour les hommes, on sait moins qu’à un même niveau de précarité, le pourcentage de femmes anxio-dépressives est bien plus important : selon une étude menée en 2010 dans 12 centres d’examens de santé, le différentiel est de 7 points.
Le suivi gynécologique des femmes, la prévention du cancer du col de l’utérus et du cancer du sein sont aussi sources d’inégalités. Les campagnes de dépistage pour ces deux cancers peinent à atteindre les femmes en situation de précarité, alors même qu’elles présentent plus de risques. Ainsi, le cancer du col de l’utérus est resté meurtrier – il touche plus de 1 000 femmes chaque année – alors qu’il est pourtant évitable. Grâce au vaccin contre le papillomavirus et au dépistage par frottis, le nombre de décès a diminué de moitié ces deux dernières années. Pourtant, une étude publiée l’an dernier par Santé publique France a mis en avant trois facteurs préoccupants :
– les femmes les moins dépistées et les jeunes femmes non vaccinées ont pour point commun de vivre dans une famille à faibles revenus ;
– un faible niveau de diplôme est associé à un moindre dépistage par frottis ;
– l’absence de dépistage par frottis de la mère dans les trois dernières années est corrélée à une moindre vaccination chez ses filles.
Des risques accrus de maladies cardio-vasculaires menacent aussi les femmes en situation de précarité. Moins suivies, elles y survivent moins souvent que les femmes de milieux plus favorisés. En France, de manière générale, les maladies cardio-cérébro-vasculaires sont la première cause de mortalité des femmes, devant le cancer : les femmes meurent huit fois plus de maladies cardiovasculaires que de cancer du sein. Sur les 150 000 personnes qui décèdent chaque année en France d’une maladie cérébro-cardio-vasculaire, plus de 54 % des victimes sont des femmes. Or, parmi elles, les femmes précaires sont surreprésentées. Pour les femmes en situation de précarité, c’est donc bien, comme le dit la Professeure Claire Mounier-Véhier, « une double peine, médicale et sociale ».
Le Haut Conseil à l’Égalité préconise donc d’améliorer la formation des professionnel.le.s de santé afin que soient mieux prises en compte les spécificités des femmes dans les diagnostics et les traitements. N’hésitons pas à pointer du doigt le retard pris par la France en ce domaine !
Geneviève Couraud, membre du HCEFH
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