Que serait ce magazine sans des prises de parole spontanées, sans préséance, paroles de victimes, de femmes en colère, d’hommes indignés, d’enfants trop longtemps murés dans le silence ? Ces prises de parole de témoins directs ou indirects de la souffrance humaine sont la quintessence de notre travail de journalistes. Que serait un magazine féministe sans la parole sauvage, au sens de sans contact préalable avec l’espèce humaine ? La parole féministe a ceci de singulier, à l’opposé de certains autres témoignages spontanés, qu’elle a pour ambition de changer le monde, de renverser les rapports de domination. L’intégralité des articles que vous lirez une fois de plus dans ce numéro sont nés de la rencontre improbable mais bien réelle entre la libération de paroles et la volonté des interlocuteurs et interlocutrices d’accueillir cette parole qui naît avant toute chose d’un trop-plein de sentiments outrageusement contrastés.
Ce trop-plein de mots restés dans le fond de nos gorges voyage très souvent dans un mouvement non scientifiquement prouvé et sans explication tangible, de nos bouches vers nos doigts pour se transformer en écriture et devenir des livres.
Ce trop-plein d’images se déplace par le même procédé de nos yeux vers notre main tremblante ou assurée, celle de la dessinatrice ou du dessinateur pour devenir portrait ou bulles. À ce titre, je souhaite la bienvenue au dessinateur Lodi qui nous rejoint à l’occasion de ce numéro consacré au rire. Je vous laisse le découvrir sur son compte Instagram. Ce trop-plein de sentiments douloureux venus de situations difficiles se matérialise en blagues, en sketches et autres films humoristiques.
Mais au-delà de leurs différences, ce qui réunit ceux et celles qui prennent sauvagement la parole est le courage. Témoigner pour la première fois, se dévoiler ou révéler sa vérité demeurera ce saut dans le vide, ce moment de basculement qui mettent irrémédiablement en danger le témoin. Elle ou il retient son souffle, en apesanteur, explorant une terre, un territoire où personne ne voulait consciemment ou inconsciemment aller. Cette bouffée d’air qui redéploie à nouveau ses poumons lui permet de recommencer à respirer, une seconde naissance…
Carine Delahaie
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