« Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant »
Louis Aragon, Le roman inachevé, 1955
21 février 2016, la matinée est fraîche mais les rayons du soleil inondent les allées du cimetière d’Ivry. Je me fonds dans la foule compacte qui vient rendre hommage aux héroïnes et héros de l’Affiche rouge. Cette année, plus encore, le rendez-vous est indispensable et salutaire face à la déferlante fasciste et au sentiment anti-étranger qui monte dans notre pays.
À travers le groupe Manouchian, c’est tout l’apport, le sacrifice des étrangers pour la France que nous célébrons à l’heure où tout s’écrit pour faire oublier que sans les Arméniens, les Italiens, les Polonais, les juifs fuyant les pogroms de l’est, les Algériens… Sans l’énergie de celles et ceux qui ont tout laissé pour embrasser un nouveau destin, sans ces femmes et ces hommes qui ont confronté leur existence à cette temporalité inconcevable qu’est la route de l’exil, la France ne serait pas la France.
L’exil est une mer d’éternité dans laquelle seul.e.s les plus courageux osent se baigner. Hier interné.e.s à Rivesaltes, à Gurs, aujourd’hui parqué.e.s à Calais ou à Grande-Synthe, combien de nos grandes plumes écrivant l’Histoire de France ont vécu un instant dans des baraquements de fortune, repoussé.e.s aux confins de notre propre inhumanité ?
Quelques rayons de soleil se perdent sur la plaque rendant hommage à Olga Bancic, l’héroïne du groupe Manouchian, immigrée de Bessarabie, engagée dans les FTP MOÏ qui ne laissa à aucun homme le soin de transporter et tenir à sa place armes et explosifs. Elle n’eut pas l’honneur de figurer parmi les 23 fusillés de l’Affiche rouge. Ce « 24e homme », rendue invisible par les nazis qui la décapitèrent à Stuttgart, était une femme. Même le poète semble ne pas s’en souvenir… Une étrangère, notre sœur pourtant.
Carine Delahaie
Édito du numéro 154 de Clara magazine (mars 2016)
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