Édito : Paradoxal #MERCY

Le 27 janvier dernier, la France a pris une décision importante. Elle a désigné la chanson Mercy du groupe Madame Monsieur pour la représenter au concours de l’Eurovision 2018. Ce groupe, encore inconnu quelques minutes avant sa prestation, était plébiscité dès son passage par des milliers d’internautes sur les réseaux sociaux, dont Anne Hidalgo en personne, première magistrate de Paris s’il vous plaît… Il faut dire que la chanson raconte l’histoire vraie d’une petite fille née en Méditerranée sur un bateau de bénévoles venus secourir sa mère, une des dizaines de milliers de migrantes qui prend la mer chaque année pour tenter la traversée de l’espoir. Et ces traversées, on le sait, se terminent souvent par des morts atroces et anonymes. Cependant, la petite Mercy est bien née, et je me suis finalement demandée si ce n’est pas justement parce qu’elle s’en est sortie qu’elle a tant impressionné le public français qui est tombé en amour pour le bébé. Mercy, une sorte de « wineuse » des temps modernes, capable d’écrire son propre destin.

Paradoxal choix des Français qui, alors qu’ils s’enfoncent depuis des décennies dans des politiques migratoires meurtrières, dans des politiques antisociales, font entrer l’extrême droite au Parlement européen, sont capables de s’émouvoir pour un bébé comme ils en croisent des centaines sur leurs trottoirs sans même les regarder.

En fait, la réponse se trouve sans doute dans les mots de présentation de l’interprète expliquant que « la chanson n’est en rien politique mais humaniste ». Alors tout s’explique. Il ne faut pas mettre en avant le fait que ces millions de personnes quittent, comme tous les émigré.e.s, leur pays pour fuir la guerre, la misère et les crises climatiques. Il faut juste penser que sauver un bébé c’est bien, c’est magique. Il ne faut pas dénoncer les politiques migratoires qui empêchent les humains d’aller où ils veulent et ferment les frontières des pays pauvres que les pays riches pillent. Il faut se réjouir de la possible destinée de la petite Mercy (pitié en anglais), qui aura sans doute dans quelques années son propre show de téléréalité, devenant la nouvelle Kim Kardashian.

En fait, les quelque pauvres migrant.e.s qui vivront assez longtemps pour raconter leurs histoires cruelles à Hollywood seront acclamé.e.s car elles/ils sont au fond les premiers de cordée d’un système implacable. Pour les autres, les loosers, qui n’atteindront pas l’autre rive, il reste le froid et la mort, l’horizon comme seul point de chute. Combien de larmes, de sang, s’ajoutent au liquide transparent et salé de la mer… Mère de tous les dangers, mère de toutes les douleurs.

Carine Delahaie

 

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