Bien que nous ne soyons pas un magazine scientifique, je souhaitais m’arrêter quelques minutes sur un phénomène observé par des mathématicien.e.s et météorologues de renom. Je veux parler de l’effet papillon et de son corollaire, la théorie du chaos.
Le premier fut exposé par le prestigieux météorologue Edward Lorenz lors d’une conférence en 1972 intitulée « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »
Vous vous demandez sans doute où je veux en venir, consciente que j’écris ici dans un magazine féministe ? Eh bien, je me suis demandé ce qui avait permis à la première des 94 actrices courageuses qui ont dénoncé les crimes et délits sexuels d’Harvey Weinstein de libérer sa parole. S’est-elle levée un matin, s’est-elle servi un café, a-t-elle ouvert son journal ou rejoint sa salle de gym ? Y avait-il du soleil ?… S’est-elle regardée dans une glace ? A-t-elle senti une tension entre l’estomac et le sternum, à cet endroit précis ou une bouffée d’air ouvre les champs du possible ? Elle a sans doute allumé la radio, on passait un morceau de Queen à lever les foules dans un stade ou juste une ballade de Jeff Buckley, sorte de prière résiliente… Bref, elle a compris à ce moment précis que rien ne serait plus comme avant, qu’elle allait juste… parler. Parfaite manifestation de l’effet papillon : une chanson, un rayon de soleil dans la vie d’une femme provoquent un séisme dans les lieux de pouvoir et permettent à des milliers de femmes de prendre la parole avec courage et créer ce que certain.e.s appellent avec dédain un appel d’air.
Personnellement, je n’ai jamais compris cette rhétorique autour de l’appel d’air qui consiste à dire que lorsque l’on accompagne une personne pour faire respecter ses droits fondamentaux, il y en aura chaque jour plus encore à accompagner. Comme si le fait de révéler un crime créait les crimes. Lorsque qu’une association ouvre une permanence de femmes victimes de violences, elle offre un espace d’accueil, elle met en évidence les violences mais le crime est le crime, il existe indépendamment du fait que l’on en parle. La question est juste de savoir pour une société si elle veut fermer les yeux sur le crime. Et vous le savez, un battement de paupière peut inversement engendrer une catastrophe annoncée… c’est ce qu’on appelle la théorie du chaos.
Carine Delahaie
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