Laurie Delhostal est journaliste sportive. Son regard sur la place des femmes et leur vécu dans ce journalisme particulier l’a conduite à co-fonder l’association Femmes journalistes de sport pour faire bouger les lignes. Entretien.
Vous avez fait une prépa hypokhâgne, khâgne, des études de philosophie, pourquoi cette envie d’aller vers le journalisme télé ?
Dans mes études, la philo a été centrale. J’ai une licence et une maîtrise de philo, ça s’appelait comme ça à l’époque ! Je ne peux pas dire que depuis toute petite je voulais faire ce que je fais. J’ai le sentiment de m’être plus laissée porter par mes idées du moment, les opportunités que j’ai saisies. Je me suis dit que ce qui me correspondait le plus, parce que j’aimais écrire, parce que j’étais curieuse, c’était le journalisme. Je me suis orientée tout de suite vers le sport car c’est ma passion. J’ai grandi dans un environnement très sportif : le handball. Donc je me suis dit je vais essayer. J‘ai fait mon premier stage dans l’entreprise Sport-Ever pour les sites internet qui a ensuite ouvert la chaîne Orange-sport et on m’a proposé un poste de journaliste sportive télé. Je n’avais pas forcément envie de faire de la télé, un peu par snobisme littéraire.
Et de rencontre en rencontre, de challenge en challenge…
Je me suis rendu compte assez vite que la télé était un média assez intéressant pour moi parce que je pouvais me rendre sur le terrain. Rapidement, j’ai pu travailler sur le handball, mon sport favori, et là tout de suite c’est devenu passionnant pour moi de faire de la télé.
En tant que femme, vous vous êtes tout de suite sentie à votre place comme journaliste sportive TV ?
En fait, oui. On dit souvent que les femmes ont des problèmes de légitimité mais à chaque fois que j’ai eu des opportunités, je n’ai pas douté, j’y suis allée à fond. Je me suis sentie à ma place et légitime. J’analyse cela aujourd’hui avec du recul. Les discriminations, les violences, je ne les voyais pas comme ça. On les a intégrées dans nos têtes. Il y a aussi les réactions et des postures que l’on prend naturellement pour se protéger. J’en ai beaucoup discuté avec les journalistes femmes de mon âge. On dit souvent de nous que nous sommes devenues beaucoup plus dures dans notre manière d’être, très distantes. Par exemple, j’ai travaillé pendant très longtemps sur le handball et, c’est curieux, je n’ai aucun numéro de sportifs. Pourtant c’est important quand on travaille sur le terrain. J’avais les numéros des coachs mais pas des joueurs, avoir leurs numéros me mettait mal à l’aise.
C’était une forme d’autoprotection ?
Oui, complètement. Je ne peux pas dire qu’il y avait des comportements qui me mettaient mal à l’aise mais je sentais qu’il fallait faire très attention pour que les choses ne soient pas mal interprétées afin qu’il n’y ait pas de moments gênants. Voilà aussi pourquoi j’étais toujours dans une posture extrêmement froide dans la communication. Quand on fait du terrain, on fait attention à notre attitude, c’est ce que nous faisons toutes, tous les jours.
Vous avez couvert d’autres disciplines, la fomule 1, le foot, le rugby… Le sport est pourtant le dernier bastion du sexisme. Avec le recul, vous avez toujours mis en place ces protections ?
Beaucoup moins aujourd’hui avec l’expérience et l’âge ! Sur mon parcours, j’ai rencontré Béatrice Barbusse qui, à l’époque, était présidente du club d’Ivry lorsque moi je commentais le handball. Nous étions deux ovnis. Cela nous a tout de suite rapprochées. Elle, elle était déjà dans une posture de sororité que moi je ne connaissais pas alors parce que je n’en avais pas fait l’expérience et que l’on ne parlait pas encore du sexisme, des violences, des discriminations. Béatrice est tout de suite venue vers moi, elle avait une posture plus courageuse dans le sens où elle affrontait les choses alors que moi, pendant longtemps, je voulais juste me protéger plutôt que d’affronter.
Pourquoi avoir créé une association dédiée aux journalistes sportives tous médias confondus ?
Avec Mejdaline Mhiri, nous portions cette idée-là depuis longtemps. Nous, journalistes sportives, avons une vraie spécificité : on estime qu’il y a de 10 à 15 % de femmes dans les rédactions de sport. C’est une estimation, il n’y a pas de chiffres, pas d’enquêtes, pas d’études. C’est pour cela que nous avons décidé de faire cette association avec plusieurs ambitions. Mejdaline, elle, en avait marre qu’on lui dise qu’il n’y avait pas de femmes qui s’intéressaient au sport. Et moi, mon idée au départ était de créer du lien entre nous toutes, entre toutes les journalistes télévision et presse écrite, le lien étant le sport, le sujet qui nous unit. J’avais envie d’entendre ce qui se passait dans les autres rédactions. J’avais le pressentiment que l’on vivait des situations similaires et qu’en en parlant, on arriverait à régler une partie des problèmes.
Tout est allé très, très vite. On est partie à six femmes avec des profils différents pour représenter au max le métier, six filles avec lesquelles nous avions envie d’avancer. Nous avons eu une période de réflexion sur ce que nous voulions faire. Je discutais beaucoup avec Marie Portelano 4 parce que j’intervenais dans son documentaire. Marie a dénoncé les choses et, avec l’association, nous faisions la suite. Et puis le documentaire a déclenché une émotion plus forte que ce que l’on imaginait. Nous avons fait paraître une tribune dans Le Monde qui a été le point de départ de l’association : aujourd’hui, nous sommes 180 journalistes !
Ouverture vers les étudiantes, vers les écoles de journalisme ?…
Cela va dans le sens de mon engagement. À la base, je me disais : « Si tu ne fais rien, personne ne fera jamais rien. » C’est maintenant que l’on doit faire les choses. Je considère que je fais partie de la troisième génération des femmes journalistes de sport. Si je symbolise chaque période par une femme, il y a eu Marianne Mako, Nathalie Lanetta, puis il y a nous. Et je pense que nous, nous sommes arrivées à maturité pour transmettre. Il faut faire bouger les lignes nous-mêmes. Voilà pourquoi nous voulions nous adresser aux étudiantes, ce sont les personnes les plus fragiles dans le métier. Cela faisait sens de les intégrer à notre démarche. Elles sont confrontées aux mêmes problèmes que nous. C’est même presque plus prétentieux car on peut avoir l’impression que ça y est maintenant, les femmes sont dans le sport, que l’égalité est parfaite entre les hommes et les femmes en France. Cette espèce d’impression de progression mais qui, en réalité, n’existe pas. Ces dernières années, on a rendu visible un certain nombre de femmes mais cela ne veut pas dire grand chose. Ce n’est pas parce qu’il y a dix femmes de plus qui présentent à la télévision que, derrière, le métier s’est féminisé. Ce n’est absolument pas le cas.
Vous sentez une évolution chez les jeunes journalistes garçons ?
Le problème est qu’ils entrent dans le milieu du sport, un milieu qui fait système ! Quand on reste dans ce milieu où rien ne bouge, on finit par reproduire. Spontanément, nous faisons toutes le constat que les choses peuvent être rassurantes avec la nouvelle génération mais cela ne se fera pas naturellement non plus. Sinon dans deux cents ans, nous serons à 20 % !
Quels sont les projets de l’association ?
On s’est organisé autour de groupes de travail. Trois idées : s’unir est aussi aider celles qui ont des problèmes de sexisme, de harcèlement ; se compter avec la mise en place d’un observatoire à court, moyen et long terme ; peser sur les instances, les ministères, les écoles et les rédactions.
Votre actualité Laurie ?
Je travaille actuellement sur des projets plus engagés. C’est ce que j’ai commencé à faire avec mon premier documentaire sur les sportives et la maternité. J’ai envie de raconter les histoires des championnes car je crois qu’on ne se rend pas compte de ce qu’elles ont affronté à cause de leur genre. C’est ce que je prépare actuellement.
Quelle musique écoutez-vous, quel livre lisez-vous en ce moment ?
La musique, une chanson de Lauryn Hill, To Zion, dans laquelle elle raconte que, lorsqu’elle était enceinte, on lui a dit : « Pense à ta carrière, après tu penseras à un enfant. » C’est aussi ce que l’on dit aux sportives ! Je lis beaucoup d’essais pour travailler les thématiques de l’association, Une chambre à soi de Virginia Woolf.
Propos recueillis par Sabine Salmon.
Commandez le numéro 185 (mai 2021) de Clara magazine et découvrez tous nos autres articles.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.