Créée en 2009 à la Maison des métallos à Paris, puis présentée en tournée en France jusqu’à ce jour, la pièce de Rayhana, dramaturge et comédienne, sort aujourd’hui sur grand écran, sous sa direction. Une adaptation qu’elle mène avec détermination. Une première réalisation salutaire. Entretien.
Pouvez-vous nous dire comment s’est fait le passage des planches au cinéma ?
Lorsque ma pièce de théâtre fut jouée à Paris, la productrice Michèle Ray-Gavras et le réalisateur Costa-Gavras étaient venus. Ils m’attendaient à la fin de la représentation. Tout de suite, la productrice m’a proposé que cette pièce devienne un film. Elle m’en donnait le courage, moi qui n’avais jamais réalisé, mais pour elle c’était moi qui devait le faire. « Cette histoire doit être portée au cinéma », disait-elle avec insistance. Il aura fallu plus de trois ans pour que le film naisse. Je n’avais pas la technique mais l’adaptation, la réécriture ne m’ont pas posé de difficultés. Mais si la pièce de théâtre était en français, je tenais à ce que le film soit en langue arabe. Je voulais restituer cette oralité de l’arabe dialectal populaire.
Comment retrouver au cinéma l’authenticité de la parole si forte dans votre pièce de théâtre ?
Le film, comme la pièce, se situe dans ce huis clos du hammam. La scène se passe en Algérie dans les années noires (1990 – NDLR). Il était important pour moi qu’au cinéma les femmes soient arabophones, donc un casting de comédiennes parlant l’arabe dialectal. Ce qui n’a pas été facile. Les comédiennes en Algérie se sont souvent désistées, craignant pour leur vie. Au final, celles qui jouent dans le film sont des comédiennes d’ici, repérées par connaissance et casting.
Des femmes se livrent, se racontent dans un hammam, ce ne pouvait pas être ailleurs ?
C’est le lieu en Algérie, et dans le monde arabe, le plus populaire où se retrouvent les femmes. Elles y vont entre amies et, même si des visages sont inconnus, très vite les bavardages sont pour toutes. Le hammam est un véritable lieu de liberté. Elles y parlent d’amour, des violences qu’elles subissent, de l’espoir d’une vie meilleure… Au hammam, dans cette brume, les larmes ne se voient pas, mais on entend parfois des éclats de rire. Le hammam c’est le lieu des confidences partagées. On y parle et personne n’en saura rien à l’extérieur.
Où avez-vous tourné votre film ?
Hélas pas en Algérie. J’aurais voulu tourner au hammam de Bab El Oued. Mais comme les comédiennes, les figurantes n’auraient pas acceptées de jouer. Nous avons trouvé un magnifique hammam à Salonique, en Grèce, où nous sommes restées un mois. Toute l’équipe était féminine, c’était un choix que j’avais fait pour que chacune soit à l’aise.
Chacune de ces femmes est à l’image de la société ?
Dans le huis clos qu’est le hammam, corps presque nus, plus ou moins rondes, plus ou moins jeunes, tous âges confondus, elles se massent, se regardent aussi dans leur corps, leur âge, leur féminité. Et lorsqu’elles se racontent, on entend une institutrice qui est là pour se faire belle, son époux est de retour du Sud et ne l’a pas vue depuis des semaines. Elle est amoureuse et veut vivre pleinement sa vie, elle est si jeune. Tandis qu’une autre, mariée trop tôt, subissant des violences, vient de France et cherche une jeune fille de bonne famille pour son fils. Et puis il y a cette étudiante, son corps est encore marqué des traces du vitriol qu’elle a reçu en pleine rue, lancé par un intégriste. Et cette jeune femme, veuve d’un émir, aspirant à une société religieuse, qui tente de rallier toutes les femmes à sa cause. Voilà quelques-unes des femmes qui vont sans cesse se parler, se détester aussi. À elles seules, elles représentent et subissent la société patriarcale, à chacune de tenter de s’en défaire ou de la subir. Je pense qu’il y a un peu de moi dans chacune d’elles. C’est aussi dans mon entourage familial, dans le quartier que j’ai rencontré ces histoires.
Qu’attendez-vous de votre film ? C’est différent du théâtre ?
C’est vrai que le théâtre nous rapproche du public. Moi-même quand j’allais voir la pièce, je n’y jouais pas, mais j’avais toujours un plaisir à voir le public, si proche, si attentif. Je sais que le cinéma, qui semble figé, ne donne pas la même émotion, mais pourtant la force est là. Le film sort fin avril et a déjà connu de belles avant-premières en Tunisie, en Suède et dans des festivals. L’équipe et moi, nous serons toujours là, comme pour la pièce, pour des rencontres avec le public. Sur ces contacts si riches, il me vient un souvenir : un soir au Théâtre du Rond-Point, une dame bien française est venue me voir et m’a dit : « Je croyais venir voir des femmes arabes… Eh bien, je me suis vue ! »
Alors Rayhana femme engagée, féministe ?
Toujours ! Depuis mon enfance en Algérie, je me suis battue contre les injustices faites aux femmes. Je continue, par le théâtre, par l’écriture, de dire aux femmes qu’il faut se battre pour revendiquer leurs droits, faire reculer les mentalités patriarcales. Mais, ici aussi en France, n’oublions pas les reculs dans les sociétés occidentales. Et si le film, comme la pièce, donne un peu de cette avancée aux femmes, alors je crois que j’aurai eu raison de le faire, pour toutes les femmes qu’on soit d’ici ou d’ailleurs.
Propos recueillis par Samia Messaoudi
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