« Une femme victime de violences violences vit dans un univers éclaté. Elle doit agir dans de très nombreux champs de sa vie… » Ghada Hatem, médecin-cheffe de la Maison des femmes
La Maison des femmes a ouvert ses portes en juillet 2016, après trois ans de gestation de sa fondatrice Ghada Hatem. Trois mille femmes ont été accueillies la première année, puis quatre mille les années suivantes et enfin près de cinq mille en 2020. Autant de femmes prises en compte dans leur entièreté pour retrouver leur intégrité physique et psychologique essentielle à une nouvelle vie.
Dans votre parcours, quels faits, quel constat vous ont conduite à engager la création d’un lieu dédié aux femmes victimes de violences ?
Mon parcours est un parcours de gynécologue-accoucheuse classique, ayant travaillé dans différentes maternités publiques. Cela m’a permis de rencontrer des femmes de toutes origines et classes sociales. Et l’intimité que permet ce métier m’a fait comprendre que rien ne protège une femme d’un conjoint ou d’une famille violente, que les difficultés que traversent ces femmes sont identiques et ont un impact sur leur santé.
J’ai eu l’occasion dans ma carrière de créer divers parcours de soins pour la prise en charge des naissances, de l’infertilité ou du cancer du sein. Il m’a donc semblé tout à fait légitime d’imaginer un parcours adapté à cette problématique et, pour qu’il soit parfaitement identifiable, un lieu dédié m’a semblé la meilleure solution.
Comment définiriez-vous la prise en charge holistique d’une femme victime de violences ?
Une femme victime de violences vit dans un univers éclaté. Elle doit agir dans de très nombreux champs de sa vie, alors que parfois elle ne sait pas encore formuler clairement que ce qu’elle vit ou vivait est de la violence, qu’elle et ses enfants, lorsqu’il y en a au foyer, sont en danger et que malgré son désir profond la situation a peu de chances de se normaliser. Elle doit donc bénéficier de l’aide de différent.e.s professionnel.le.s pour prendre en charge sa santé, la dimension traumatique de son vécu et ses enfants.
Il y a souvent des problématiques sociales, financières, juridiques, des questions autour de la pertinence d’un dépôt de plainte. Et les efforts de son agresseur pour la maintenir sous son emprise et lui faire perdre toute estime d’elle-même ont en général été couronnés de succès. Elle est souvent très isolée, confuse et persuadée de son incompétence. Il faut donc l’installer au centre d’une prise en charge collective et bienveillante où son histoire est partagée, ce qui lui évite de devoir la revivre en la répétant de nombreuses fois. C’est le travail de coordination de l’ensemble de ces professionnel.le.s qui permet cette prise en charge holistique, dont l’efficacité a pu être démontrée par notre modèle.
Pouvez-vous décrire le parcours d’une femme qui vient pour la première fois à la Maison des femmes de Saint-Denis ?
Nous proposons en fait trois parcours différents, mais qui s’entrecroisent souvent car les problématiques s’additionnent parfois. Le premier parcours concerne la santé sexuelle avec l’accès à la contraception, la pratique d’IVG, tant médicales que chirurgicales, la prise en charge des adolescent.e.s et des actions de prévention telles que les interventions scolaires. Le deuxième parcours est dédié aux femmes victimes d’excision et s’appuie sur une prise en charge psychologique, sexologique et chirurgicale. Enfin, le troisième est dédié aux femmes victimes de violences sexuelles et sexistes, avec une prise en charge somatique et psychologique.
Les patientes des trois parcours bénéficient d’un accompagnement corporel grâce à l’implication de kinésithérapeutes, d’ostéopathes et d’une psychomotricienne, mais aussi social et juridique ou encore de la possibilité de participer à des groupes de parole ou de porter plainte sur place.
Une patiente peut donc avoir besoin de l’un ou de plusieurs de ces parcours. Pour en bénéficier, elle peut se présenter sur place, téléphoner ou envoyer un mail. Une consultation d’évaluation et d’orientation lui sera proposée, qui débouchera en
général sur un parcours précis.
Des ateliers thématiques, comme le théâtre, la danse, le karaté, sont aujourd’hui proposés aux femmes dans leur parcours de soin ? Pourquoi ?
Les activités sportives et artistiques nous ont semblé une manière « autre » de permettre à nos patientes d’exprimer leurs émotions et leurs difficultés au travers de leurs affinités, de leurs compétences et de leur sensibilité propre. Nous avons eu à coeur de leur offrir des ateliers dans différents domaines, afin qu’elles puissent choisir le mode d’expression et de guérison qui leur convient le mieux. Nous leur présentons l’ensemble des ateliers en leur expliquant qu’il s’agit pour nous d’un véritable soin qui vient compléter et renforcer leur prise en charge. Nous les orientons parfois lorsqu’il nous semble qu’un atelier répondrait au mieux à leurs difficultés comme, par exemple, le karaté dans les situations de violences sexuelles. Mais ce sont elles qui choisissent et leurs retours nous ont conforté.e.s dans ce choix. Je me souviens d’une patiente qui était restée mutique pendant ses consultations avec la psychologue et qui, après quelques ateliers de théâtre où elle n’avait pas pu s’exprimer, avait fini par pousser des hurlements et enfin s’exprimer, avec un impact thérapeutique majeur.
Quels sont leurs profils, les types de violences qu’elles ont subies ?
Leurs profils sont très différents : migrantes arrivées récemment, femmes d’origine étrangère dont les familles sont installées depuis plusieurs générations ou françaises depuis toujours. Les âges et les milieux sociaux sont également très divers. Aucun ne les protège de la violence mais, bien sûr, être précaire, isolée ou en situation irrégulière aggrave la situation et rend le parcours de sortie encore plus complexe. Je crois que nos patientes réunissent l’ensemble des violences possibles, physiques, éducatives, sexuelles, psychologiques, administratives ou financières, et les cumulent même dans la grande majorité des cas.
Cet accompagnement holistique est-il spécifique à ce département ou peut-il se développer dans d’autres villes en France ? Existe-t-il d’autres lieux de ce type dans le monde ?
Cet accompagnement est assez récent, je crois que nous sommes les premières à l’avoir déployé de cette manière. Nous avons été rapidement suivis par nos collègues belges et, depuis, Bordeaux, Brive-la-Gaillarde, Reims et La Pitié-Salpêtrière ont franchi le pas. Notre objectif est bien sûr d’essaimer, en réunissant toutes les unités de soin concernées au sein d’un collectif, Re#Start, qui porte nos valeurs de soin et de partage.
Questions plus personnelles. Pourquoi avoir fait des études de gynécologie ? Vous venez du Liban que vous avez quitté au moment de la guerre civile. Ce contexte a-t-il influencé votre parcours ?
Avoir connu la guerre à l’adolescence a forcément un impact sur la manière dont vous appréhendez la suite de votre vie car vous êtes aussi, à votre manière, une survivante. Plus qu’une autre personne, vous savez que le temps vous est compté et que la vie est fragile. Choisir un métier porteur de sens devient une évidence et la médecine est sans doute le plus emblématique. Quant au choix de la gynécologie, il est comme toujours le fruit de rencontres et d’émerveillements.
Propos recueillis par Sabine Salmon
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