Les amazones fascinent. Elles sont encore aujourd’hui, dans nos sociétés, au cœur des représentations des femmes émancipées. Adrienne Mayor, chercheuse à l’Université de Stanford, s’est lancée à la poursuite de ces guerrières sans équivalent dans l’histoire de l’humanité.
Comme toutes les figures légendaires, les amazones doivent leur renommée, les siècles passant, aux légendes écrites à leur sujet. Adrienne Mayor, chercheuse à l’Université de Stanford, leur consacre un ouvrage : Les amazones – Quand les femmes étaient les égales des hommes. Cette historienne s’intéresse à l’impact des découvertes archéologiques sur la création de figures mythologiques légendaires comme le griffon ou la licorne. Elle a croisé la route des amazones. Dans cet ouvrage, elle rassemble l’exhaustivité de ses recherches qui mènent à deux conclusions : les amazones ont vraiment existé, elles appartiennent à un peuple des steppes, mais leur vie est bien loin des figures légendaires qui sont arrivées jusqu’à nous. Leur peuple, les Scythes, s’est vu réécrire son histoire par un autre peuple, les Grecs anciens, dès le 8e siècle avant J.-C.
Et les Grecs « créèrent » les amazones
La vision principale des amazones est une vision « hellénocentrique », fruit d’une réécriture par des auteurs de la Grèce ancienne de l‘histoire de leurs grandes batailles dans lesquelles des femmes guerrières seraient intervenues. Les reines de la mythologie classique, telles que Penthésilée ou d’Antiope, ont laissé beaucoup de mythes qui prennent la place de la vérité. Elles sont très souvent représentées sur les vases et par des statuettes. Adrienne Mayor apporte rapidement la preuve qu’il existe bien la trace d’un peuple de femmes guerrières dans des études littéraires, archéologiques et linguistiques notamment chez les Étrusques (dès 620 avant J.-C.), dans les récits de l’Égypte antique mais aussi chez les Perses, en Inde et en Asie centrale avant les textes des Grecs anciens. Ces archères nomades des steppes appartenaient au peuple des Scythes, habitant sur le territoire de la Scythie.
Comment les Grecs ont-ils pu complètement effacer les Scythes, ce peuple à l’origine de ces femmes légendaires ? Tout d’abord, il faut comprendre que dans la Grèce antique est vrai ce qui n’a pas été oublié. Cette maxime impose les faits historiques au même plan que la mythologie. Les dieux de l’Olympe sont à la fois héros de temps anciens mais également figures contemporaines. On trouve trace des exploits des amazones dont leur quatre grandes reines, Hippolyté, Mélanippe, Antiope et Penthésilée, chez les grands auteurs de la Grèce antique, en premier lieu desquels l’Iliade d’Homère. Hérodote, lui aussi, décrit Artémise prenant tout le courage et la virilité de son mari disparu. Ces textes marquent la présence de femmes guerrières comme égales des hommes.
Inversement, on perd la trace des peuples scythes entre 600 et 500 avant J.-C. dans les textes d’Iran, d’Afghanistan d’Azerbaïdjan, mais leur existence est antérieurement mentionnée en dehors du monde grec. Dans les textes grecs, on repère différents territoires au nord de la mer Noire, allant du nord de l’Anatolie (dans l’Illiade d’Homère) jusqu’aux confins de l’Asie centrale. Ces vastes territoires étaient occupés par les Scythes, des tribus nomades. Une des raisons des confusions qui perdurent encore 2500 ans après ces écrits est que les Scythes n’ont pas écrit eux-mêmes leur propre histoire.
Mythes et stéréotypes
Adrienne Mayor consacre un chapitre à l’un des stéréotypes persistant sur les amazones : le sein coupé. La légende dit que pour tirer à l’arc ces guerrières se coupaient un sein, ce qui est totalement faux. L’énigme aurait pour origine une question linguistique. Cela faisait déjà deux siècles que les Grecs utilisaient le mot amazone lorsqu’un historien et grammairien grec Hellanicos de Lesbos s’y intéressa et chercha, vers 490 avant J.-C., l’étymologie du mot amazone. « Les Grecs adoraient ce type d’exercice étymologique consistant à trouver un sens grec à des mots empruntés à d’autres langues, sur la base de ressemblances auditives », explique Adrienne Mayor. L’historien s’aperçoit alors que le mot « amazone » ressemble au mot grec « a-mazos » qui signifie… « sans sein ». Il fallait trouver un moyen d’asseoir la légende, on écrivit donc que les amazones se coupaient le sein. Ce mythe du sein coupé participe d’une série d’atrocités rapportées sur ces dernières dont le fameux meurtre systématique des nouveaux nés mâles ou encore la mutilation des jeunes garçons en leur coupant le pied. Dans beaucoup de légendes où figurent des groupes de femmes amazones sont rapportées des histoires d’hommes tués, mutilés que l’on chasse de leur village ou que l’on rejette.
Toutes ces théories sans fondement, on le sait aujourd’hui, avaient pour but de marginaliser les amazones des tribus scythes qui avaient largement émancipé les femmes. En les représentant comme des femmes barbares dans des sociétés sans morale et maltraitantes, les Grecs et notamment les Athéniens, espéraient continuer d’exercer le contrôle sur leurs femmes. Plus les histoires furent monstrueuses moins les femmes grecques risquaient de leur ressembler. Le mythe d’Atalante, héroïne de la mythologie grecque, directement inspiré de ces histoires de guerrières amazones, témoigne de cette mise en garde. Atalante se change en lionne parce qu’elle refuse sa vie, le mariage et les enfants, le foyer. A Athènes, on offre des vases avec la figure d’Atalante aux jeunes mariés pour conjurer le mauvais sort. Selon le mythe, il faut tuer la figure d’Atalante en chacune des femmes « bonne à marier ».
Les amazones, des garçons manqués
Pour poursuivre dans ce sens, on identifia souvent les femmes guerrières scythes comme des hommes déguisés. Pour les Grecs, il semblait impensable que des femmes puissent combattre des hommes et les vaincre. Ainsi, lors de batailles contre ces guerrières courageuses et très expérimentées, les guerriers grecs n’acceptèrent pas d’avoir parfois été vaincus par des femmes. Or, dans la Scythie, les femmes portaient des pantalons à motifs dont elles étaient revêtues dans leurs tombeaux avec à leurs côtés leurs arcs, leurs flèches et parfois leurs chevaux.
Les découvertes archéologiques ont été une des sources de confusion sur la vie, la situation de ces guerrières et leur invisibilité. Jusque dans les années 70/80 et l’arrivée de la bioarchéologie, les tombeaux de guerrier.e.s de toutes les civilisations étaient systématiquement considérés comme étant des dépouilles masculines, les femmes étant pour l’archéologie enterrées avec des bijoux, des ornements ou de la vaisselle. Pourtant des centaines de squelettes ont été retrouvés avec des arcs et des flèches dans les régions autour de la mer Noire, en Bulgarie, en Roumanie jusqu’en Mongolie et la Grande muraille de Chine. Avec la bioarchéologie et notamment les recherches ADN, il s’est avéré que ces guerriers étaient souvent des guerrières. Une partie importante de l’ouvrage d’Adrienne Mayor est consacrée à ce retournement de situation qui bouleverse des siècles d’aveuglement scientifique.
Dans la quatrième partie de son livre, « Au-delà du monde grec », Adrienne Mayor s’intéresse à d’autres figures féminines héroïques du Caucase, de la Perse, de l’Égypte, d’Afrique du Nord et de l’Arabie, d’Asie centrale pour finir sur les grandes figures de guerrières chinoises. Dans les cultures populaires de toutes ces régions du monde, il existe des figures légendaires de femmes guerrières indépendamment des récits des Grecs anciens. Ce sont pour la plupart des groupes de guerrières des steppes qui se déplacent dans ces régions hostiles et dont des figures nommées se détachent par leurs exploits. Cependant, au xviie siècle, des Européens présents en Géorgie ont donné des informations sur la présence de hordes de femmes au début de l’époque moderne, sur un territoire associé aux amazones. Elles portaient des armures en écailles décorées et d’une grande ingéniosité, les laissant libres dans leurs mouvements. Des cavalières et cavaliers portant ce même type d’armure ont été vues en 1671. Ces observations sont le fait de « Sir John Chadin qui a pu observer en personne un des costumes de ces prétendues amazones et en a conclu que les envahisseurs devaient être des nomades scythes des steppes des deux sexes ». À cet effet, nous constatons que les amazones, ces guerrières issues du peuple scythe étaient bien les égales des hommes et non contre les hommes.
Adrienne Mayor évoque Mulan, la plus fameuse figure légendaire chinoise. Une étude du linguiste chinois Samping Chen a révélé que la signification de Mulan n’est sans doute pas le magnolia comme pouvait le faire penser une recherche étymologique du côté chinois. Ce serait plus probablement un mot de l’ancienne langue altaïque des peuples turciques d’Asie centrale qui signifie « cerf ou élan ». « Mulan, “cerf ou élan”, serait un nom convenant parfaitement à une vraie amazone », affirme Adrienne Mayor. La figure du cerf ou de l’élan est prédominante dans la culture des peuples nomades des steppes dont les Scythes. Ils sont fréquemment utilisés aussi dans « les tatouages de prédilection des hommes et des femmes scythes ». De son propre aveu, la chercheuse dit avoir « bouclé le cercle » de ses recherches sur les relations interculturelles entre les guerrières issue du peuple scythe et les mondes grec, romain et au-delà.
Ainsi, c’est un voyage au coeur de notre histoire la plus intime que nous propose Adrienne Mayor à travers ce tour des mondes des amazones. Pour faire disparaître leur destinée, les Grecs anciens ont transformé la véritable histoire de ces femmes afin de ne pas remettre en cause leur propre organisation sociale. Cette acculturation a duré 2500 ans.
Les Scythes à l’origine des femmes légendaires appelées amazones n’ont jamais été un peuple exclusivement de femmes misandres, violentes contre les hommes. Elles ont vécu en femmes guerrières auprès des hommes. Subsiste une question d’importance : qu’aurait été l’organisation des différentes civilisations citées dans cet ouvrage si l’on avait admis que, dès l’Antiquité, il a existé un peuple dont les femmes étaient les égales des hommes ? La face du monde en aurait été probablement changée.
Carine Delahaie
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