Françoise Héritier – Scientifique unique en son genre

Le 15 novembre 2017, jour de son anniversaire – peut-être n’est-ce-pas fortuit ? – disparaissait, à la suite d’une maladie auto-immune rare qui la faisait souffrir depuis ses cinquante ans, Françoise Héritier, figure unique de la recherche en sciences humaines et du féminisme.

À la fois anthropologue, ethnologue et féministe, Françoise Héritier naît à Veauche dans la Loire le 15 novembre 1933. Seule femme professeure honoraire d’une chaire d’anthropologie au Collège de France où elle succède à Claude Lévi-Strauss, elle ouvrira les sciences humaines et sociales à l’étude approfondie des rapports femmes/hommes, en particulier la domination masculine, les systèmes de parenté, la prohibition de l’inceste et la violence.

Les sources d’une vocation

De son enfance au sein d’une petite bourgeoisie provinciale aux origines paysannes, Françoise Héritier s’imprègne de la proximité avec les coutumes familiales et les liens entre les êtres au sein d’un microcosme villageois. « Dès l’enfance, j’avais le désir de comprendre comment les choses fonctionnaient, pourquoi le monde était ainsi. […] Mon intérêt pour les questions éthnologiques et notamment pour mes études sur la parenté me viennent aussi peut-être des conversations de mes deux grand-mères qui discutaient beaucoup entre elles des histoires de leur voisins et notamment de leur rapports de parenté et d’alliance. » C’est aussi lors d’un séminaire à la Sorbonne qu’elle choisira sa voie, éblouie par le discours du célèbre anthropologue Claude Lévi-Strauss.

Masculin/Féminin, la pensée de la différence, dissoudre la hiérarchie

Sous le titre Masculin/Féminin, la pensée de la différence, l’ouvrage édité en 1996 réunit les articles publiés par Françoise Héritier dans différentes revues. Elle y donne sa définition du rapport entre les sexes : « Le “masculin” et le “féminin” relèvent d’une construction mentale établie à partir de l’observation de données anatomico-physiologiques inévitables. […] En revanche, il est difficilement admissible, à mon sens, de tirer de ces différences un ensemble de compétences, de tempéraments, de capacités, de qualités et de défauts sexuellement typés et surtout hiérarchisés. »

Perception, langage, mémoire, raisonnement sont les activités cognitives du cerveau humain et, selon l’anthropologue : « À l’origine, des catégories cognitives : opérations de classement, opposition, qualification, hiérarchisation, grilles où le masculin et le féminin se trouvent enfermés…, quel que soit leur contenu dans chaque culture, sont extrêmement durables, puisqu’elles sont transmissibles, inculquées très tôt par l’éducation et l’environnement culturel, et relayées par tous les messages et signaux explicites et implicites du quotidien. » C’est le constat qu’elle fait de ses expériences africaines et des ressemblances multiculturelles qu’elle a pu y retrouver.

Engagement féministe

Elle établit le constat de « la valence différentielle des sexes », c’est-à-dire le penchant universel d’attribuer des valeurs différentes aux hommes et aux femmes auquel il est difficile de s’opposer.

Elle pense notamment que, depuis le Néolithique, les hommes étendent leur domination sur les femmes afin de contrôler leur privilège de reproduction, mettre au monde étant un pouvoir qui leur échappe.

Elle s’engage dans de nombreuses causes dont le mariage homosexuel, l’adoption pour les couples de même sexe, la procréation maternelle assistée, mais s’oppose à la gestation pour autrui. Elle soutient l’interdiction du port du voile islamique dans les écoles publiques et écrit dans la préface du livre de Maryam Radjavi, Les femmes contre l’intégrisme : « La misogynie et le rejet de l’égalité des sexes au nom de l’islam constituent […] la force motrice de l’intégrisme. »

Outre de nombreuses récompenses honorifiques dont les titres d’Officier de la Légion d’honneur, de Commandeur des Arts et Lettres et les Palmes académiques, Françoise Héritier, qui a consacré l’essentiel de ses recherches aux fondements de la domination masculine, a reçu le Prix Irène Joliot-Curie, créé en 2001 et attribué pour promouvoir la place des femmes dans le milieu scientifique.

Dominique Barthélemy

 

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