Enseignante, journaliste spécialisée dans le rock et la pop culture, enseignante de littérature à l’annexe française de l’université Columbia, Sophie Rosemont signe un livre qui fait date en France : Black Power, l’avènement de la pop culture noire américaine.
Son dernier ouvrage Girls Rock avait donné un coup d’éclairage nécessaire et salutaire sur la place des femmes dans le rock. Elle revient avec Black Power, l’avènement de la pop culture noire américaine, un ouvrage documenté, universitaire, sur l’empowerment des artistes de la pop culture noire américaine et particulièrement des femmes. Entretien.
Vous expliquez avoir commencé ce livre avant le meurtre de George Floyd, mais comment est-il né ?
En fait, je m’intéresse à la pop culture depuis très longtemps en parallèle à mon travail sur le rock et notamment les femmes dans le rock. J’étudie et enseigne la littérature noire américaine avec des autrices comme Toni Morrison. Avec l’écriture de Girls rock, j’ai répertorié des artistes qui pouvaient rentrer dans une livre sur la pop culture noire américaine comme Rosetta Tharpe. Et puis, il y a quelques années, j’ai travaillé sur le black empowerment, me rendant compte qu’il se féminisait avec notamment des artistes comme Beyonce.
Comment avez-vous travaillé ?
J’ai travaillé de façon universitaire, d’abord la contextualisation historique et économique des années 80 et 90, puis sur la situation économique des noirs américains. Je connaissais aussi tous les disques qui forment ma discographie dont je pouvais parler. J’ai réécouté les paroles des chansons les plus engagées mais parfois j’ai aussi sélectionné une chanson engagée dans toute une discographie. J’ai voulu glaner le coeur névralgique de l’engagement de ces artistes au bon endroit, c’est-à-dire dans le bon film, le bon livre. Mais pour Spike Lee, par exemple, tout est engagé. J’ai donc pris Do the right thing parce que c’est un film emblématique que tout le monde a copié. J’ai aussi repris des travaux sur un livret de chroniques que j’avais sur la culture noire américaine.
Vous avez fait un vrai choix de culture populaire avant tout ?
Oui, mais j’ai aussi répertorié ce qui constituait un soulèvement en termes de culture populaire. Il n’y a pas besoin de chercher très loin, la musique nourrit la littérature qui nourrit elle-même. La musique nourrit le cinéma et les arts plastiques.
Vous laissez une large part aux femmes dans ce livre au point d’en faire un livre féministe pour la bonne raison qu’elles sont justement représentées ?
Effectivement, les femmes sont présentes sans les remarquer. J’ai trouvé des figures évidentes comme Billie Holiday dans la musique ou Toni Morisson dans la littérature pour être à parité mais dans le cinéma c’est plus difficile car c’est un milieu ultra masculin. Dès que je pouvais mettre une femme, je le faisais. Pas une n’a été passée sous silence. Bien sûr, il fallait qu’elles soient engagées sur les enjeux, les espoirs et les combats de la communauté noire américaine. J’ai également demandé à ce qu’on illustre systématiquement les femmes. Audre Lorde, par exemple, qui n’est pas assez connue. J’ai voulu qu’on puisse voir son visage.
La pop culture noire américaine est très graphique, elle n’est jamais ringarde même quand elle est datée. On a envie d’imprimer la moindre image pour la coller au mur. Comment l’expliquer ?
On ne peut pas vraiment l’expliquer, il y a cette interaction, cette énergie qui existe entre ce qu’on est, ses propres convictions et ce qu’on a envie de montrer. On parle de personnes qui ont été en esclavage pendant quatre cents ans, qui ont mis beaucoup de temps pour s’affranchir, à se reconstruire, socialement, professionnellement et artistiquement. Ils ont beaucoup travaillé leur allure. Pouvoir s’habiller comme on veut est important et porter le nom qu’on veut aussi. Je crois que cela a nourri l’aspect visuel de cet engagement.
Vous pensez qu’il fallait toujours en faire plus pour ces artistes ?
Je ne crois pas. Il s’agit plutôt d’une réappropriation de son corps et de son identité qu’ils font avec flamboyance après avoir été réduits à plus bas que terre et mordu la poussière pendant quatre cents ans. Et puis, il faut dire que ces icônes de la black pop culture américaine ont toutes un fort charisme. Ce sont ces milieux qui ont nourrit le hiphop, la funk et la soul avec des looks très forts, hyper marquants.
La black culture d’avant-garde est-elle morte avec Obama, est-elle en train de s’institutionnaliser ?
À quel moment la pop culture est-elle devenue de la contre-culture ou inversement ? On ne sait pas. Il y a quelque chose d’ambivalent. Depuis Obama, on assiste à un âge d’or du cinéma américain. Il est devenu très important. Maintenant ses aspects underground sont effacés et tout se mélange. Le black empowerment se renforce et surtout avec l’actualité de ces derniers mois. La communauté noire américaine est loin d’en finir avec les difficultés auxquelles elle est confrontée. Son but était de rentrer dans la culture et notamment dans la pop culture américaine. C’était notamment le but de la Motown de s’imposer au plus grand nombre. Après, les mouvements nationalistes ont voulu créer un art noir pour les Noirs. Mais quand on est Noir on n’est pas obligé d’écrire pour les Noirs ou pour les Blancs, on peut écrire pour tous les publics en transmettant son message. Toutes les solutions existent comme dans n’importe quel pop culture.
N’avez-vous pas souffert d’une forme de remise en cause de votre parole par les mouvements intersectionnels, vous qui n’êtes pas membre de la communauté noire américaine ni même dans cette pop culture noire américaine ?
Je suis une femme, Française, Blanche et effectivement pas dans la pop culture noire américaine mais Rashida K-Braggs, dans sa préface, le dit très bien : je ne m’approprie pas une parole, je la raconte. Je pense que c’est pour ça que j’ai eu de bons retours des médias de la pop culture noire et aussi des médias africains. Bien sûr que j’ai pensé au communautarisme. Est-ce que ça allait me poser des soucis ? Je crois que l’accueil est chaleureux parce que mon discours est universaliste. Il n’y a pas d’appropriation culturelle dans mes propos, je ne fais que rapporter. Et puis ce sont toutes et tous des artistes que j’adore, que je connais bien. Je parle avant tout comme une spécialiste de pop culture. J’écoute de la musique depuis mon plus jeune âge et particulièrement les artistes présent.e.s dans ce livre. J’enseigne aujourd’hui la littérature et tout dans mon parcours universitaire, professionnel et personnel me pousse à parler de ces territoires artistiques, pour expliquer ce qui s’est passé depuis le début des années 50. C’est passionnant, ce livre vous dit : plongez-vous dans cette culture. Je suis une passeuse. J’invite à découvrir tous ces artistes. Je vous ouvre une porte d’entrée. J’ai essayé d’être humble et simple.
Propos recueillis par Carine Delahaie
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