Rencontre avec Shoukria Haidar, présidente de NEGAR – association de soutien aux femmes afghanes –, qui est une fervente défenseure de la laïcité, de l’égalité entre hommes et femmes ; en 2014, elle a reçu le Grand Prix international de la Laïcité.
Joe Biden a annoncé le retrait total des troupes américaines en Afghanistan, bonne ou mauvaise nouvelle ?
Mise à part la date, Joe Biden n’a rien amené de nouveau. Cette décision est celle de Donald Trump, lors d’un accord avec les Talibans de décembre 2019. Le scandale est que les États-Unis ne négocient pas avec le gouvernement mais directement avec les Talibans. Depuis l’accord entre les Talibans alliés du Pakistan et les USA, pas un caillou n’a été jeté contre des soldats américains. Alors que, dans 22 régions sur 34, il y a déjà des affrontements entre les Talibans et les troupes régulières afghanes soutenues par le soulèvement populaire. Des exactions sont commises chaque jour par les Talibans contre la population dans l’indifférence totale des Américains. Alors, leur présence n’a plus le même intérêt. Les Américains ont décidé de passer la main aux Talibans une fois partis. Sous Obama, les Américains disaient qu’ils avaient des intérêts communs avec les Afghans, aujourd’hui ils disent que leurs intérêts doivent être sauvegardés. Il leur paraît moins risqué de s’entendre avec les Talibans que de défendre les populations.
Tu parles d’un soulèvement populaire ?
Parallèlement à leur avancée, depuis quelques mois, s’organise une révolte populaire aux côtés des forces gouvernementales. Cette révolte est structurée et menée à l’échelle du pays par Ahmad Massoud, le fils de Massoud, aujourd’hui âgé de trente-deux ans, rentré en Afghanistan pour jouer un rôle majeur. Il conduit ce mouvement pour en faire un soulèvement généralisé. En unissant des populations différentes, il veut éviter une guerre civile de religions entre sunnites et chiites et différents groupes ethniques, ce qu’espéraient les Talibans à majorité wahabites. Ceux-ci se sont infiltrés, district après district, dans les infrastructures du nord. Si bien que, ces derniers mois, certaines villes sont tombées sans combat. Les ministères de la Défense et de l’Intérieur ne sont pas sérieusement administrés et n’ont pas idée de ce qu’est la lutte armée et la sécurité d’un pays. Le pouvoir est faible. Le soulèvement populaire d’Ahmad Massoud donne de la force à l’armée officielle qui n’a pas le moral. Il s’agit d’une nouvelle génération de combattants… Les fils des compagnons de Massoud.
Que penser de la situation des femmes ?
La situation a tellement changé en vingt ans, depuis la chute des Talibans. Eux n’ont pas changé. Ils se disent modérés mais c’est faux. Après leur chute, les femmes sont sorties du Moyen Âge et ont repris confiance dans la vie publique. Aujourd’hui, elles sont 25 % dans l’administration, 30 % au Sénat. Elles se forment à l’université mixte dans tous les départements. Il y a une génération de jeunes filles avec un langage de courage et une volonté de faire. Durant ces vingt ans, il n’y avait pas que des Américains, quarante pays étaient présents dans différents aspects de la vie. Nous avions demandé aux étrangers de venir pour coopérer mais nous avions nos propres institutions et nos votes. Ce sont les Talibans qui ont parlé d’occupation. Je regrette que la France, sous Hollande, soit partie si vite, pour les populations afghanes mais aussi pour la place de la France dans les négociations internationales.
Comment vois-tu les mois qui viennent ?
La situation économique est déplorable car nous n’avons pas su développer des infrastructures dans des secteurs clés. Cela reste un pays en guerre, même si la liberté est plus importante. Les mois à venir seront très importants. Il nous faut retrouver les chemins du plaidoyer international pour échapper à l’obscurantisme. L’Europe doit comprendre que la situation en Afghanistan la concerne. Si les Talibans se réinstallent, quatre à cinq millions de déplacés viendront en Europe. L’Afghanistan redeviendra la base arrière de futurs terroristes sanguinaires et fondamentalistes qui viendront l’attaquer. L’histoire n’en finira jamais. Les féministes européennes et françaises ne doivent pas laisser les Talibans se réinstaller sans rien faire. Je vais reprendre, avec elles, les conférences pour alerter l’opinion publique.
Propos recueillis par Carine Delahaie
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