Édito : Maya est morte ce matin

Maya est morte ce matin. Je ne sais même pas si je peux être triste. La peine a-t-elle un sens ? La peine est ce sentiment qui laisse place à d’autres séquences émotionnelles. Le temps possède son propre pouvoir sur la douleur. Mais peut-on jamais faire le deuil de celles et ceux qui manqueront à leur siècle ?

mayaElle gardait des heures sombres de l’occupation ce regard d’enfant cachée qui a une revanche à prendre sur les adultes. Il y a des étoiles jaunes qui restent cousues sur votre veste bien longtemps après que les fils en aient été disjoints. La judéité est une chaleur de l’enfance qui rappelle la main maternelle sur votre joue, la judéité est un parfum. Maya éprouvait une douleur sourde face à cette montée d’encre noire fraîche, face à l’odeur nauséabonde de l’antisémitisme ressurgissant de son passé, avec les peurs et les bruits de bottes en écho. Et puis le goût de la bile qui vous brûle quand, ces dernières années, sur l’autre front, dans la tranchée adverse, vous apercevez des anciennes sœurs d’armes, ces révolutionnaires de pacotille au rouge bruni, prêtes à tous les compromis.

Jamais vraiment rassasiée, le bec ouvert à toute aventure comme le corbeau de La Fon­taine, nous n’entendrons plus sa voix Pantagruel. Cette voix grave dans laquelle un rire se prenait comme le houx sur la branche. Elle aurait encore pu avaler les révolutions en marche sur les six continents, jamais les cinq océans n’auraient pu étancher sa soif de justice. Maya s’en va alors que tout est à faire, tout est à refaire sans doute.

Bien sûr ses colères, bien sûr sa voix au téléphone, bien sûr son insolence, bien sûr son irrévérence… bien sûr, bien sûr… La liste s’allonge quand on y songe. Comment conti­nuer la Révolution des femmes sans son regard félin, capable de discernement dans le noir, la brume, la tempête. La liberté des femmes sans autre dialectique. Maya ne regardait pas le monde, elle imaginait ce qu’il aurait pu être.

Maya, tu avais le courage qui manque à ce siècle, celui de ne pas chercher à plaire. Mourir pour ses idées, oui mais de mort lente disait Brassens. Mais finalement, on meurt moins pour ses idées que par le manque d’idées des autres. Sans doute ce siècle ne te méritait plus.

Carine Delahaie

Édito du numéro 155 de Clara magazine (mai 2016)

Pour consulter le sommaire du numéro 155 (mai 2016) de Clara magazine : c’est ici !