Édito : Combien de regards ?

Lors de son concert à Paris, Agnès Jaoui, invitée de ce numéro, chantait Todo cambia de la grande chanteuse argentine Mercedes Sosa. La réécoutant sur un site bien connu de musique en ligne, je découvrais que l’auteur de cette chanson n’était autre que Julio Numhauser lui-même créateur du groupe Quilapayùn, interprète du célèbre El pueblo unido jamas sera vencido. Alors que la nuit tombait sur notre capitale, je succombais à la tentation de réécouter ce titre devenu l’hymne du peuple chilien face à la dictature Pinochet. Mais je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… Alors, moi-même enfant, j’étais fort impressionnée par ces hommes aux voix profondes, semblant porter à eux seuls toute l’espérance et la détermination des peuples d’Amérique latine en proie à des dictatures sanglantes et féroces. Cette chanson, El pueblo unido jamas sera vencido, porte en elle l’idée forte qu’une somme d’individualités peut faire basculer le pire des ré­gimes. Puis je me dis que nous avions peut être trop vite oublié, peuple sans mémoire que nous sommes, oublié qu’en d’autres époques, des femmes, des hommes n’ont pas douté de leur propre capacité à changer la destinée de leur pays, malgré la peur, le terrorisme d’État. Quelle genre de personnes somme-nous pour douter de nous-mêmes ?

D’Oradour-sur-Glane à Santiago du Chili, combien de regards ont disparu à jamais, arra­chés à leurs proches ? Combien de regards se sont éteints d’épuisement et de douleur sous les tortures, les balles, les assassinats ? Combien de regards se sont embués de larmes, définitivement voilés par le chagrin ? Combien de regards se sont inexorable­ment détournés du monde d’avoir vu trop d’atrocités.

Face aux yeux clos des 130 victimes des attentats du 13 novembre 2015, mais le regard pointé vers l’avenir pour qu’ils ne soient pas morts en vain, je fais le souhait que notre peuple ne baisse pas le regard car… le peuple uni jamais ne sera vaincu.

Mais aussi déterminé.e.s que nous sommes tristes, toute l’équipe sera présente en 2016 pour faire vivre la pluralité, l’actualité féministe, pour défendre la laïcité et nos libertés. Avec toutes les plumes de Clara-magazine qui sont autant de souffles de liberté dans le ciel de Paris, je vous souhaite une bonne année 2016.

Carine Delahaie

Édito du numéro 153 de Clara magazine (janvier 2016)

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