Le courage des filles afars

Aïcha Dabalé, féministe franco-djiboutienne afar, est investie depuis l’âge de dix-sept ans pour les droits des femmes. Sabine Salmon, présidente nationale de Femmes solidaires, porte la voix de son mouvement qui accompagne les femmes afars depuis treize ans. Yvette Barilleau, architecte retraitée, est engagée depuis de longues années dans cette association féministe et coordinatrice de ses projets en Éthiopie. Entretien croisé sur le projet Kimbidalé avec des femmes « battantes » de France et d’Éthiopie.

Le début d’une aventure incroyable…

Aïcha D. : Il y a une vingtaine d’années, j’ai appris qu’il y avait des femmes qui menaient des actions contre les pratiques ancestrales d’excision et d’infibulation en pays Afar d’Éthiopie, d’où je suis originaire. Depuis l’âge de dix-sept ans, je me battais moi-même contre ces pratiques. J’ai rencontré ces femmes, Madina et Halima, de l’association Karrera, aujourd’hui Gamissa. Elles souhaitaient faire porter leurs voix au-delà des frontières et toucher une ONG qui aurait pu les aider. Je militais moi-même en France à Femmes solidaires qui luttait contre l’impunité des viols à Djibouti. J’ai alerté mes amies et les ai emmenées sur le terrain.

Sabine S. : Aïcha est partie en mission avec une représentante de Femmes solidaires, Simone Bernier. Un soir, des femmes l’ont interpellée sur les ravages de l’excision en lui demandant ce que l’on pouvait imaginer pour faire cesser cette barbarie. Après des discussions avec ces femmes, un projet de marrainage de petites filles est né. 90 petites filles marrainées par des comités Femmes solidaires n’ont pas été excisées et ont pu aller à l’école car à l’époque les fillettes non-excisées étaient exclues de toute vie sociale et en danger. Le programme leur permettait de continuer d’être scolarisées. En 2015, on recensait plus de 800 petites filles non-excisées dans la région. Malheureusement Simone nous a quittées.

Yvette B. : Pour moi, cela a commencé en 2011. Après le décès de Simone qui était responsable du projet et avait conçu les plans d’une maison pour les femmes, à la fois refuge et lieu de rencontre, j’ai repris le projet de construction. La maison a été inaugurée en 2014. Je suis régulièrement partie en mission avec Aïcha et nous avons continué à suivre notre projet.

Sabine S. : Je me suis rendue plusieurs fois à Gawani, mais Aïcha et Yvette marquent à chaque voyage la présence des Femmes solidaires en territoire afar, elles tissent des liens d’amitié et de solidarité plusieurs fois par an.

Après l’inauguration de la maison des femmes en 2014, une autre aventure débute…

Aïcha D. : Ces petites à qui on avait évité cette mutilation barbare et qui étaient scolarisées arrivaient à l’âge d’aller au collège. C’était aussi l’âge où elles pouvaient être mariées. À notre congrès de 2013, Madina, une des militantes de Gamissa, nous a interpellées sur la question de l’absuma, le mariage préférentiel. Pour elle, c’était le nouveau combat à entreprendre. La maison inaugurée en 2014 a servi entre autres de refuge pour les jeunes filles qui veulent échapper à l’absuma. Beaucoup d’entre elles étaient également désireuses d’aller au collège. Mais la distance jusqu’à la ville de Gawani rendait la chose irréalisable.

Yvette B. : À la suite d’une rencontre, l’ambassade de France en Éthiopie nous a épaulées pour obtenir un bâtiment à Gawani et ouvrir un internat avec un confort minimum pour la rentrée 2015 avec une petite équipe encadrante. La question était de financer dans la continuité cet établissement et d’améliorer les conditions de séjour des jeunes filles. La sortie du film d’Emmanuelle Labeau, Kimbidalé, retraçant la lutte contre l’excision, nous a beaucoup aidées.

Sabine S. : Avec l’équipe du siège de Femmes solidaires, nous avons préparé des dossiers de demande de subvention à des fondations. La fondation Air France et la fondation ELLE nous ont soutenues. Notre projet prenait réellement son envol avec une autre envergure.
Yvette B. : Dans la conception de l’internat, nous avons voulu que la maison des filles soit la plus belle possible car elles vivent là et il faut que ce soit un endroit joyeux et accueillant.

Soutenir les fillettes mais aussi les femmes, les mères

Aïcha D. : Ces femmes qui se sont révoltées contre les mutilations génitales et les mariages forcés ont affirmé leur desir de lutter contre un cadre de vie précaire et patriarcal. Elles ont exprimé leur envie d’autonomie, d’abord en apprenant à lire et à écrire. Il était question de maraichage, de fabrications textiles et de petits bijoux. Elles ont pu se procurer des machines à coudre. L’idée est venue d’exploiter un moulin à grains pour produire de la farine de teff, de sorgo et de maïs, qui, sous forme de galettes constitue la base de leur nourriture. Mais les banques ne prêtent pas aux semi-nomades, et encore moins aux femmes !

Yvette B. : Oui, grâce à une subvention du club Soroptimist de Fort-de-France et au maire de Gawani qui nous a donné un terrain de 2 500m2, nous avons pu commencer la construction d’un nouveau bâtiment pour accueillir le futur moulin à grain thermique. Les vingt-neuf femmes à l’initiative de ce projet ont constitué une coopérative et espèrent grâce aux bénéfices pouvoir contribuer au financement de l’internat.

Sabine S. : Ce premier film, Kimbidalé, qui a été diffusé dans toute la France, a beaucoup contribué à rendre visible l’action des femmes afars et le projet, son financement. Il relatait le combat contre l’excision de l’association Gamissa, aidée par Femmes solidaires. Il s’agit maintenant d’aller plus loin pour l’autonomie de ces femmes et de ces filles. À présent, il y a un internat et des jeunes filles qui vont vers des études supérieures. Nous ne voulons pas les abandonner, pas plus que ces femmes qui vont vers leur autonomie. Nous lançons donc un financement participatif sur Ulule le 6 février prochain, Journée internationale de lutte contre les mutilations génitales féminines, pour continuer à porter la parole des femmes et des filles afars. L’aventure continue.

Propos recueillis par Anne Godard

 

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