« Je suis venue du mouvement associatif pour faire de la politique »

Dernière rencontre politique de notre magazine dans cette période d’élection présidentielle. Nous redécouvrons Michèle Rivasi, députée européenne, activiste écolo-féministe au courage sans faille. Ni les secrets d’Etat, ni les promesses de carrière, ni les pressions politiques, n’ont jamais réussi à étancher sa soif d’un monde plus sûr et plus juste. Entre accent de révolte et accent du sud, entretien cash.

Quel regard portez-vous sur votre parcours ? Vous auriez pu mener la vie plus calme d’une agrégée de sciences naturelles, il en a été autrement.

J’étais professeure à l’IUFM de Valence. Et puis il y a eu Tchernobyl, le 26 avril 1986, son nuage et son mensonge d’État. Il a énormément plu les jours suivants. J’habite une maison à la campagne où l’on dépend beaucoup de l’eau de pluie. J’avais un jardin potager et de jeunes enfants, entre 8 et 10 ans. Quand j’ai fait des prélèvements pour savoir exactement ce qu’il en était, l’eau était bourrée de produits radioactifs.

Tchernobyl a été un véritable choc qui a bouleversé votre vie ?

Oui, cela a bouleversé ma vie. J’avais alors deux options : soit je gardais l’information pour moi et je protégeais mes enfants, ma famille, soit je dénonçais le mensonge d’État en cours, ce que j’ai fait lors d’une conférence de presse qui a tout déclenché. Je suis retournée à l’université où je travaille pour avoir les mesures, j’en ai pris connaissance et là je me suis demandé pourquoi et comment on pouvait mentir à ce point aux gens. Après, il y a eu la création de la Criirad, un laboratoire indépendant. J’ai embauché des scientifiques pour mieux comprendre et j’ai commencé à être sérieusement attaquée. Alors, je me suis demandé ce qu’était réellement le nucléaire. Comment pouvait-on cacher des choses aussi graves pour la raison d’État ? Au plus haut niveau, tout le monde semblait être complice.

Pour vous, on aurait pu éviter une catastrophe sanitaire ?

On pouvait l’éviter si on avait parlé aux gens. En Corse, par exemple, on aurait pu leur dire: « Ne mangez pas de lait de brebis », ou chez moi : « Ne mangez pas de légumes du jardin. » Quand vous vivez à la campagne, vous êtes dans l’autoconsommation. Avec une simple carte de pluviométrie, on aurait pu voir où il y avait eu des orages. Puis j’ai trouvé un bio indicateur : le thym ; si le thym était contaminé, toute la chaîne était contaminée. Mais à l’époque en France, il y avait un monopole sur les questions nucléaires du Service central de protection contre les rayons ionisants avec le fameux professeur Pellerin, tout devait partir de lui. Après, Michel Rocard a fait sauter ce monopole. À ce moment-là, le Commissariat à l’énergie atomique ne sortait aucune mesure de radioactivité sans l’aval du SCPRI. Et Pellerin avait décidé qu’il ne fallait pas informer les gens pour ne pas les alarmer. La France étant le pays le plus nucléarisé, cela aurait eu un effet néfaste sur la question du tout nucléaire en France. Cela s’est fait avec la complicité des ministres de l’époque. Il y avait Michèle Barzac à la santé, Alain Madelin à l’industrie et Alain Carignon à l’environnement ; ces gens ont décidé que le dossier était confidentiel défense.

Pourtant ces gens ont de la famille qui pouvait potentiellement être touchée ?

Bien sûr, les décideurs ne sont pas toujours concernés par le nucléaire. Ils vivent en ville et ne sont pas touchés par l’autoconsommation alimentaire. Ils achètent du lait UHT produit, des légumes de toute la France. Alors qu’en Corse, les chiffres disaient que la contamination du lait corse était dix fois supérieure au continent. Quand vous êtes au village, vous mangez le brucciu local au lait de brebis et vous vous contaminez de façon incroyable. Mais les dossiers étaient confidentiels. Quand on a demandé des études épidémiologiques, l’État nous a dit que la hausse des cancers de la thyroïde était due à un meilleur dépistage ! Des années après, la collectivité territoriale corse a demandé une étude faite par des Italiens. Ils ont publié, preuves à l’appui, qu’il y avait une augmentation d’hyperthyroïdie et d’hypothyroïdie dans cette région.

Cependant, ce qui pèche souvent chez les écologistes c’est le principe de réalité. Vous croyez vraiment qu’on peut sortir du nucléaire ?

La particularité de la France est qu’elle ne peut sortir en 10 ans ; il faudra 25 ans. Mais au fur et à mesure que les centrales passent les 30 ans, il faut les fermer. Comme celle Fessenheim, elle est la plus vieille, située dans une zone sismique, près d’une digue du canal du Rhin qui, si elle se rompt, peut faire un accident nucléaire comme à Fukushima. Elle cumule tous les cas de figure. Il y a aussi la centrale du Tricastin qui connaît beaucoup d’incidents.

Je vous entends, mais comment faire fonctionner les télés et les réfrigérateurs sans le nucléaire ?

Déjà, nous avons un surdimensionnement de nos centrales nucléaires. Le problème n’est pas les appareils quotidiens mais le chauffage électrique. On a surdimensionné le parc nucléaire français et, comme on ne peut pas stocker l’électricité, on poussait le chauffage et EDF a impulsé le chauffage électrique. Il faudrait isoler plutôt que chauffer plus, raisonner avec les trois piliers environnementaux : la sobriété énergétique – moins consommer, moins gaspiller –, l’efficacité énergétique – isoler – et l’augmentation des énergies renouvelables.

On a la sensation que vous êtes toujours entre la politique et l’activisme et que vous n’avez pas réellement tranché ?

Non, parce que je suis venue du mouvement associatif pour faire de la politique. Quand je venais à l’Assemblée nationale avec la Criirade, je rencontrais de la condescendance des députés vis-à-vis des associations, ce que nous disions n’était pas pris en compte. Le nucléaire était complètement préempté par une minorité de députés pro-nucléaires.

Vous décidez donc de vous engager ?

À un moment, je me suis dit : il faut faire de la politique et débloquer le système. J’ai été élue en 1997 grâce à la décision de Lionel Jospin d’avoir 33% de femmes députées du PS. Comme il n’avait pas de femmes à proposer, ils m’ont appelée. Ma seule condition était d’être coprésentée par le PS et les Verts. Je voulais la rose et le tournesol ! Quand j’ai été élue, j’ai voulu entrer à l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques . Je suis agrégée en biologie et je voulais être là où se décidaient les choix technologiques français. On m’a dit : pas question, vous n’êtes pas cooptée. Un scandale, il n’y avait même pas une femme dans cette commission scientifique. Je suis donc allée voir Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale, car, pour lui, sur le nucléaire j’avais une valeur ajoutée face aux pro-nucléaires, il voulait une voix discordante. Comme il n’y avait aucune femme, il a sorti un député et je suis rentrée. J’ai dû me bagarrer à chaque instant.

Vous vous sentez féministe ?

Oui, profondément féministe. Pas seulement sur des sujets de femmes, pour donner du féminisme sur des sujets qui ne sont pas spécifiquement féminins comme le nucléaire, la culture intensive. Là où j’ai des connaissances à apporter. Yvette Roudy était contente de cette approche décalée quand nous travaillions ensemble. Ce fut un rapport de force permanent. J’ai toujours essayé d’utiliser la force des femmes. Au Parlement européen, j’ai une stratégie quand je fais des amendements, les femmes sont beaucoup plus ouvertes, moins idéologiquement contrôlées sur les perturbateurs endocriniens, les pesticides, les médicaments…

Ces sujets les touchent en particulier ?

Oui, prenez la pilule Diane 35, les parents d’une jeune femme étaient venus me voir parce qu’elle avait fait un AVC très grave alors qu’elle était à l’École normale supérieure. J’ai étudié précisément la question et je me suis rendue compte que Diane 35 n’avait pas eu l’autorisation de mise sur le marché pour être une pilule, mais un médicament contre l’acné. J’ai donc provoqué un débat parlementaire sur cette question des pilules de 3e et 4e génération. Et bien là, tous les hommes partaient, seules les femmes restaient. Dans certains pays, il n’y avait pas d’ordonnance pour les pilules. Qu’on ne me parle plus du rapport bénéfice/risque. Comment voulez-vous avoir des chiffres fiables s’il n’y a pas d’ordonnance ? Il n’y a pas d’effet indésirable puisqu’il n’y a jamais de relation établie entre prescription et médicament. Pour les implants Essure aussi, j’ai été interpellée par des usagères : une fois qu’on les met, on ne peut que difficilement les enlever.

Sur l’affaire Baupin vous avez été aussi franche et directe ?

Pour moi, quand un homme utilise son statut pour jouer avec l’avenir de jeunes femmes, c’est inadmissible. Il faut s’engager. Dominique Strauss-Kahn, nous l’avons bloqué au Parlement européen car le lobby féministe est plus fort qu’à l’Assemblée nationale. Dans les pays anglo-saxons, elles sont bien mieux organisées que nous, plus dures. Dans le cas de l’affaire Baupin, il y avait plein de gens qui tergiversaient… Quand j’ai vu les témoignages des jeunes filles, j’ai compris sur quoi ça jouait ces textos. On connaît ce dispositif quand vous venez d’être embauchée ou que vous êtes stagiaire et que vous subissez le poids de votre employeur. C’est un rapport de force constant.

Pourquoi n’êtes-vous pas arrivée en tête de la primaire écologiste alors que vous incarnez une écologie sans compromission ?

On me reproche d’être trop électron libre, de dire les choses sur des sujets qui ne sont pas les mantras écolos comme la transition énergétique. Mais ce qui me motive dans la vie, est de partir de la parole des gens, de leur interpellation. Moi, mon plaisir ce sont les petits bonheurs que j’apporte aux gens. L’autre jour, pour mes vœux, un homme est venu me voir avec une boîte de marrons glacés car il a gagné 5 ans pour sa retraite. Il travaillait dans une usine de la Drôme où il y avait de l’amiante, il a eu la reconnaissance « travailleur de l’amiante » grâce à mon intervention.

Il y a des choses qui m’ont déçue dans la primaire. Lors d’une réunion, j’explique mon programme, ma différence avec Yannick Jadot, je suis sur le social et l’écologie. Si vous faites de l’écologie comme certains l’entendent, ce ne sera que pour les bobos, pour des gens qui ne sont pas dans la survie. Or moi je suis pour une société qui s’occupe de l’écologie, de bien être, de santé mais dans laquelle il faut pouvoir vivre, je suis pour remonter les minima sociaux. On ne peut pas demander à des gens de manger bio s’ils n’ont pas les moyens de manger. Et des militantes m’ont dit : « Tu sais Michèle, ton programme est super mais, comme il n’y aura que des hommes dans les autres partis, il faudrait un homme.» Le parti ne m’a pas aidé, il ne voulait même pas me donner les parrainages pour la primaire !

Ne croyez-vous pas que si vous aviez été désignée par votre parti pour la présidentielle, votre parole ne serait pas aussi libre ?

Je ne crois pas. À EELV, la parole est assez libre mais j’aurais passé beaucoup de temps dans le parti et pas vraiment à relayer la parole des gens. J’aime bien faire du porte à porte à la campagne où les gens ont des petits bonheurs. C’est important le bonheur.

Et votre position à la veille de la présidentielle quant à la gauche ?

Il y a trois personnes, on peut écrire un projet commun, unitaire et puis on fait un gouvernement et on enclenche un nouveau mouvement, pas seulement la rencontre de trois personnes. Je voudrais que ce programme se prépare en amont avec un projet pour les législatives et pas avec des accords de gouvernement, sur des sujets décidés en trois heures. Mais les trois égos, il faudrait qu’ils se rencontrent. Trois mecs c’est la rencontre de trois testostérones.

Qu’est-ce que vous écoutez en ce moment ?

Camille Bazbaz, je l’ai vu hier à Romans en concert, je l’aime beaucoup.

Propos recueillis par Carine Delahaie

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