Gérard Holtz, le féministe – Plus Milliat que Coubertin

Faire découvrir des parcours de femmes sportives de haut niveau, montrer le sport au féminin, voilà un des objectifs de l’ouvrage Les 100 histoires de légende du sport au féminin. Rencontre avec un féministe qui toute sa vie a eu chevillé au corps le sport et ses valeurs : j’ai nommé Gérard Holtz. Entretien.

Déjà cinq livres sur l’histoire du sport, tous avec une majorité de figures masculines, d’où vient cette idée d’un sixième ouvrage sur des sportives de légende ?

Dans les mois qui viennent, nous allons avoir Roland-Garros, les 24h du Mans, la Coupe du monde de football, le Tour de France, ce sont des actualités principalement masculines. Avec mon fils Julien, nous avons voulu prendre le contre-pied du machisme dans le sport. Plutôt que de faire un autre livre sur le football, comme nous le demandait l’éditeur, nous avons fait un livre sur le sport au  féminin. Il y a tellement de figures, d’histoires à raconter que nous en avons trouvé pas moins de deux-cent-cinquante, parmi lesquelles nous avons bien sûr fait un choix pour aboutir à cet ouvrage. Dans les précédents livres, il ne pouvait être question de parité. Le premier, consacré au Tour de France, ne parle que d’épreuves masculines, et celui sur le sport automobile raconte certains parcours comme celui de Michèle Mouton, Jutta Kleinschmidt. Il y a toutefois assez peu de pilotes femmes. En revanche, le livre sur les Jeux olympiques respecte pratiquement la parité. Bientôt, nous allons faire Les 100 histoires de légende du vélo et il y aura des dizaines de femmes.

Vous mettez à l’honneur le sport au féminin et non le sport féminin. Pourquoi avoir choisi ce titre ?

C’est simple, pour Julien et moi, il y a le sport qui est pratiqué par des hommes et des femmes. Il n’y a pas de sport féminin. En disant le sport féminin, on le considère comme une sous-catégorie. Or, pour nous, il ne l’est pas. Par exemple, si l’on parle de l’équipe de France de foot, immédiatement on pense aux hommes. Il faut préciser, équipe de France de Football féminin… Cela nous déplaît.

Le sport, dernier bastion du machisme comme l’affirme Fabienne Broucaret ?

Le sport est un univers où il y a énormément de progrès à faire. Cela est en partie dû à un homme génial dans un sens et misogyne dans l’autre dans ses prises de position, ses actions : Pierre de Coubertin. Il eu le génie de rénover les Jeux olympiques en 1896 mais il était également raciste et d’un machisme insupportable. Il a écrit des textes épouvantables contre la présence des femmes dans le sport :« [les Jeux sont] l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec […] l’applaudissement féminin pour récompense », « une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte ». Le sport reste d’une certaine façon imprégné par cette pensée. Heureusement qu’il y a eu Alice Milliat qui a pris la position inverse de Coubertin en mobilisant les femmes, en organisant des jeux féministes et en faisant pression sur le CIO pour qu’enfin, aux Jeux d’Amsterdam, en 1926, les femmes soient présentes.

L’ouvrage débute par cette « déclaration universelle des droits de la femme et la sportive », un vrai coup de gueule, une « déclaration de guerre aux machos »…

La phrase de Mai 68 « ce n’est qu’un début, continuons le combat » est vraie pour la parité et pour la reconnaissance des femmes dans le sport et les médias sportifs. J’ai vu des dirigeants sportifs qui considèrent le sport au féminin comme une sous-catégorie, des organisateurs d’événements sportifs qui ne donnaient pas les mêmes primes aux gagnantes qu’aux gagnants. Il a fallu attendre 2007 à Roland-Garros pour avoir les mêmes primes !

Avez-vous « honte » du milieu professionnel dans lequel vous avez évolué ?

Les médias et beaucoup de journalistes considéraient eux aussi que le sport au féminin ne pouvait pas avoir la même place. Quand je suis passé au Service des sports en 1983, je voyais autour de moi des résistances, des freins, il y avait un « machisme ambiant ». Il était inimaginable qu’une femme puisse faire le commentaire d’un match de football, de rugby, ou être sur la pelouse pour faire des interviews… Et les retransmissions de matchs féminins ne pouvaient pas être sur les chaînes principales. Aujourd’hui, d’une part, les fédérations, comme le football, le tennis, le ski et les organisateurs d’événements ont fait des efforts. Et, d’autre part, dans le monde du
journalisme beaucoup de patrons ont compris que les femmes sont de vraies professionnelles, qu’il faut leur faire confiance et qu’elles sont aussi compétentes que les hommes. Par bonheur, il y a un véritable progrès mais le combat doit continuer.

Vous évoquez la figure de Violette Morris, « la hyène de la Gestapo », c’est un parti-pris contestable ? Surtout qu’à la page suivante vous évoquez le sort funeste des athlètes juives allemandes pendant cette période.

Cette femme a un destin hors du commun, elle porte le maillot de l’équipe de France de football, elle bat des records, est titrée nationalement, pratique l’athlétisme, le football, l’haltérophilie, l’équitation, la boxe, le cyclisme, l’automobile, jusqu’à devenir espionne pour les nazis et tortionnaires au service de la Gestapo. J’ai été interpelé par cette vie : comment est-ce possible de porter les valeurs du sport et de basculer dans l’horreur ? Le sport est le reflet de la société, il y a le meilleur et le pire. Dans chacun de nos ouvrages, on a montré les héros et héroïnes, les grands moments et les déviations, les crises, les scandales…

On connaît votre attachement au cyclisme et à la Grande boucle. Le Tour de France féminin est créé en 1984 mais supprimé cinq ans après. Aujourd’hui, un groupe de femmes cyclistes de l’association Donnons des elles au vélo tente de faire revivre cette preuve féminine en courant les mêmes étapes un jour avant les hommes. Qu’en pensez-vous ? Comme expliquez-vous qu’une épreuve féminine n’ait pas été réhabilitée ?

Malheureusement, la médiatisation et le sponsoring ne sont pas du tout au même niveau pour les filles que pour les garçons. J’ai parlé aux sponsors du Tour de France en leur demandant de mettre une partie du budget sur un Tour de France féminin : ils répondent NON ! Le Tour de France masculin phagocyte les budgets. Beaucoup de sponsors sont pleutres et n’ont pas envie de participer à un Tour féminin. Or, il faut beaucoup d’argent entre la privatisation de la route, le paiement de la gendarmerie, trouver des hôtels, les villages de départ, d’arrivée, la logistique, les infrastructures… Mais oui, le vélo au féminin mérite largement un Tour de France !

Les sponsors ne suivent pas et pourtant le sport au féminin rapporte de plus en plus ?

Oui, il y a 4 millions de téléspectateurs pour les matchs de football féminin et 2 millions pour le rugby. Mais le système est simple : je suis retransmis, je suis vu, si je suis vu, ça intéresse le sponsor et inversement. C’est un combat, il faut prouver, montrer que le sport au féminin est spectaculaire, qu’il y a des championnes formidables, des histoires extraordinaires…

Apres l’affaire Weinstein, on a assisté à la libération de la parole des femmes dans tous les domaines de la vie – culture, politique, travail… Seul le monde du sport fait exception. Quelle est votre opinion ?

Evidemment, cela existe dans le sport. Le sport n’est pas épargné par ces histoires de harcèlements, d’agressions, de viols. Il faut libérer la parole, permettre aux femmes victimes de pouvoir parler et qu’il y ait des sanctions sérieuses. Dans le sport, la question du corps, du physique est centrale. Ainsi, certains passent d’un conseil à un mauvais geste et des violences graves. De plus, quand on est coach, il est facile d’avoir une emprise sur des athlètes. Le sport est un domaine où nous devons être encore plus en alerte que dans d’autres domaines.

D’où vous vient cet engagement pour l’égalité ?

J’ai vu mon père travailler toute sa vie avec ma mère, l’un en face de l’autre, dans l’amour. J’ai vu mon père aimer ma mère, la respecter, l’écouter et cela vous marque. Par la suite, j’ai eu beaucoup d’amies avec qui j’ai fait du sport en mixité. Il y a une intelligence d’un certain nombre de sports à avoir inventé la mixité comme la voile, le jumping, le ski…

Y-a-t-il une sportive qui vous a particulièrement touché et à qui vous voudriez rendre hommage ?

Parmi celles qui m’ont le plus bluffé, il y a Jeanne-Geneviève Labrosse, la première parachutiste. D’après vous, en quelle année la première femme a sauté en parachute ? 1799 ! Elle saute d’un ballon à 900 mètres d’altitude, en robe, parce qu’elle a confiance et par amour pour Garnerin, l’inventeur du parachute. Pour les contemporaines, Laura Flessel est le prototypemême de la grande championne et de la femme accomplie. Double championne olympique, championne du monde, elle m’a fait hurler de joie lors de ses victoires mais également pleurer à Londres au moment où elle est éliminée.

Propos recueillis par Kévin Védie

 

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