Flavie Flament – La parole libérée

Flavie Flament, animatrice de télévision et radio, est l’auteure d’un livre, La consolation, dans lequel elle explique avoir été violée à 13  ans par un photographe célèbre, dont elle ne dévoile pas immédiatement l’identité. Ce livre, « je le dédie à toutes les victimes qui se taisent, dans la solitude absolue », dit-elle.

C’est en 2009 au décès de son grand-père, rare figure familiale bienveillante, que surgissent des images enfouies, comme si Flavie Flament se trouvait soudain seule au monde, sans protection. Elle ressent de l’angoisse, de l’effroi, « ma tête est une maison ouverte à tous les vents », explique-t-elle. Elle a des malaises, doit s’allonger fréquemment, « des maux, mais pas de mots », elle pressent « l’existence de souvenirs sans savoir d’où ils viennent ». Seul un professionnel, un psychiatre, peut l’aider à démêler cet écheveau en l’accompagnant dans une longue descente en elle-même.

Voyage au centre de la mémoire

Les souvenirs reviennent, trente ans après, avec une grande intensité, mémoire psychique, mémoire du corps. Elle se souvient de cet homme d’une cinquantaine d’années qui l’avait repérée au Cap d’Agde, sur la plage. Il la voulait pour modèle, sa mère était flattée. Quand il la dénude et lui fait prendre des poses lascives, elle n’a pas la force de partir et pas non plus la force de dire non quand il abuse d’elle sous la douche. Elle n’a que treize ans. Elle sent son esprit se détacher, se déconnecter des sensations. Elle est hors de son corps, processus que les spécialistes appellent la « sidération », protection naturelle contre la souffrance qui provoque par la suite l’oubli ou « amnésie traumatique ».

Elle effectue alors « un voyage dans une mémoire enfouie quelque part au fond de moi, un coffre à secrets scellé du sceau de la honte, de la protection, des mensonges et des aveuglements », dit-elle.

Grâce au psychiatre, sa parole se libère, « aujourd’hui je suis Moi, intégralement, plus forte, consolée ». Elle décide finalement de raconter son parcours dans un livre dont le titre sonne juste, La consolation, et ce afin d’encourager les autres victimes à parler. Flavie Flament dit souvent « nous » dans les interviews, tant elle se sent proche et solidaire de toutes ces femmes abusées.

Obtenir réparation

Mais, pour porter plainte et recevoir compensation de ce lourd préjudice physique et moral, Flavie Flament se heurte à la prescription légale de vingt ans à partir de la majorité, celle-ci prend donc effet à trente-huit ans, elle en a quarante-deux. Le délai est dépassé. « C’est un couperet terrible, une sorte de double peine », dit-elle. Elle ne peut donc pas dévoiler le nom de son agresseur qui pourrait engager une plainte pour diffamation. Cependant, à partir de son récit, il est relativement aisé de le deviner et le secret éclate bientôt au grand jour. D’ailleurs, dévoile-t-elle, plusieurs témoignages ont déjà été donnés par d’autres victimes, dans le plus grand anonymat, avant que son livre ne paraisse.

David Hamilton, puisqu’il s’agit de lui, auteur dans les années  70 de nombreuses photos d’adolescentes dénudées, tente de nier les faits dans une communication à l’AFP et menace effectivement d’engager une procédure pour diffamation.

Mais, dernier coup de théâtre, on apprend le 25  novembre  2016, que le photographe s’est donné la mort dans son appartement parisien. Flavie Flament réagit avec colère en rappelant que « d’autres femmes se sont manifestées avec courage et émotion ces dernières semaines. C’est à elles que je pense. À cette injustice que nous étions en train de combattre ensemble. Par sa lâcheté, il nous condamne à nouveau au silence et à l’incapacité de le voir condamné ».

Allongement du délai de prescription et imprescriptibilité

En France, un.e mineur.e victime d’actes de pédophilie bénéficie de protections particulières mais pas au-delà de ses trente-huit ans. Or, l’histoire de Flavie Flament met en lumière la difficulté pour ces adolescent.e.s devenu.e.s adultes de faire émerger de leur mémoire les images longtemps retenues car inacceptables. Il serait donc souhaitable, dans un premier temps, que la prescription ne prenne effet qu’au moment où le déni prend fin chez la victime.

En France et dans la majorité des nations, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Pourtant il s’agit aussi d’une humanité en grande souffrance que celle des enfants et des adultes victimes depuis toujours de la violence et des abus sexuels, qu’ils soient perpétrés dans la vie civile ou sur le théâtre des guerres.

Flavie Flament vient d’être mandatée par Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, à la tête d’une mission de consensus sur le délai de prescription en cas de viol. Elle est accompagnée d’un avocat spécialiste du droit pénal. Ce sera pour elle un moyen d’agir face à sa révolte devant le suicide de son bourreau. Il faudrait bien-sûr aller plus loin et rendre ces crimes imprescriptibles.

Dominique Barthélemy

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