Flavie Flament : « J’ai voulu faire connaître le sentiment de solitude et d’abandon qui étreint des victimes de viol dont les faits sont prescrits »

Quelle a été votre réaction lorsque Madame la ministre, Laurence Rossignol, vous a confié le pilotage avec Monsieur Jacques Calmettes de la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s ?

Honorée, j’y ai surtout immédiatement vu une formidable occasion de faire entendre la voix des victimes dans un débat qui les concerne en premier lieu et dont elles sont injustement tenues à l’écart. Après m’être assurée qu’elles auraient une place « d’expertes » au même titre que les législateurs ou les psychiatres, je n’ai pas hésité une seconde.

Comment le travail de la mission s’est-il organisé ?

L’équipe de la mission s’est constituée avec notamment le concours précieux d’Elisabeth Moiraud-Bron, secrétaire générale de la MIPROF. Nous avons organisé une série de tables rondes que nous tenions à décloisonner. Bien souvent, ceux qui ont un avis sur cette question ne se fréquentent pas. Nous les avons mis en présence pour une meilleure écoute. Ainsi, une victime pouvait débattre avec le législateur, un neurologue exposer ses derniers travaux à un magistrat. C’est passionnant, émouvant, déstabilisant. À l’issue de toutes ces auditions, l’équipe de la mission s’est réunie pour s’entendre et établir une liste de recommandations. C’est soulagé.e.s que nous avons remis le rapport à la ministre le 10 avril, après deux mois et demi particulièrement éprouvants.

Quel était le but ou les buts de la mission ?

Il m’apparaissait essentiel dans un premier temps de faire s’écouter ceux qui ne s’entendent pas. Les positions des uns sont bien souvent rejetées par les autres avec une véhémence qui ne peut faire avancer le débat sur la question. De ces échanges sont ressorties d’éclatantes évidences, comme parfois la méconnaissance du législateur des entraves à la parole de l’enfant et notamment de l’amnésie traumatique. C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à ce que le point soit fait sur les dernières recherches en imagerie du cerveau. J’ai voulu faire connaître le sentiment de solitude et d’abandon qui étreint des victimes de viol dont les faits sont prescrits, le manque cruel d’accompagnement, et l’allongement nécessaire du délai de prescription de 20 à 30 ans.

En êtes-vous satisfaite ?

Absolument. Cette mission était intitulée « de consensus » par Laurence Rossignol. Il me semble qu’elle a été remplie dans ce sens.
Quelle est votre position par rapport à l’imprescriptibilité ? Votre avis a-t-il évolué au cours de la mission ?

J’ai abordé cette mission avec humilité et une profonde envie d’aller au-delà de mes propres convictions, de comprendre. J’y ai beaucoup appris. Mon point de vue s’est en réalité consolidé, mais le voici désormais plus lucide et argumenté. Si l’imprescriptibilité m’apparaît comme une évidence dans l’avenir, j’ai aussi compris qu’elle n’est pas applicable aujourd’hui au regard de l’architecture du droit français. C’est un travail de fond à mener.

Est-ce que passer de 20 à 30 ans le délai de prescription est une étape nécessaire avant l’imprescriptibilité ?

Je le vois comme tel. C’est déjà un pas, qu’attendent les victimes et les associations. Et il peut se faire rapidement.

Le rapport de la mission met en avant huit préconisations, lesquelles retiennent votre attention ?

Il me semble que toutes nos recommandations tentent de répondre aux attentes des victimes. Ensemble, elles tissent un plan qui considère enfin la parole de ceux qui souffrent mais ne veulent pas être privés de leur droit de se défendre, de désigner leur agresseur et d’en protéger la société. Je retiens la possibilité de porter plainte même quand les faits sont prescrits, et bien sûr, l’allongement du délai de prescription.

Quelles sont les perspectives aujourd’hui ?

Le rapport, bien que remis à Laurence Rossignol, a pour vocation de servir notre cause, si importante. Je le remettrai au prochain locataire de l’Élysée et je sais que je suis portée par toutes les associations qui poursuivent leur formidable travail sur le terrain. Sans elles, cette question ne serait pas au coeur des débats. Leur rôle est essentiel.

Propos recueillis par Carine Delahaie

Commandez le numéro 161 (mai 2017) de Clara magazine et découvrez tous nos autres articles.