Édito : Pas des filles faciles dans ce numéro

Alors que j’apprenais la disparition de d’Anne Sylvestre, notre soeur Anne, je voulais entendre sa voix, pas seulement l’écouter chanter mais entendre réellement ses phrases, ses mots, ses silences. Je choisissais l’interview « sans concession » donnée ou plutôt offerte à Laure Adler lors d’une Heure bleue. Et la journaliste un rien badine et ironique, de féministe à féministe, de lui dire : « Vous ne devez pas être une fille facile ? » et Anne Sylvestre, donnant de la profondeur à sa voix, de lui répondre : « Je n’aurais pas fait ce métier et je serais morte depuis longtemps si je ne m’étais pas défendue. »

Quelques jours plus tard, alors que je décidais de rendre un hommage mérité à Nelly Kaplan, réalisatrice du film culte La fiancée du pirate, j’écoutais de nombreuses interviews. Et, là encore, la réalisatrice rapportait les paroles de son père : « Tu ne peux pas continuer à vivre la vie que tu mènes… » et elle de continuer : « Je ne sais toujours pas quelle vie je menais mais il paraît que j’étais une révoltée. Il m’a dit : “ Ou tu changes ou tu t’en vas.” » Encore une fois une fille pas facile.

Enfin, je croisais le destin de la grande primatologue Dian Fossey dans son ouvrage Gorilles dans la brume. Une femme engagée dans la défense d’une espèce menacée, engagée dans la protection de la nature, une femme qui n’eut que ses poings et ses cris contre les machettes des braconniers qui démembraient en représailles les derniers gorilles de montagne. Là encore, on continue de retenir de cette grande scientifique qu’elle fut une femme acariâtre et dure, une fille pas très facile.

Que des filles pas faciles dans ce numéro… Alors deux choses l’une… Ou toutes les femmes de talent, celles qui réussissent et affichent une forme de radicalité dans leurs engagements sont, au contraire des hommes, systématiquement des marâtres dures et sans sentiment, ou ces femmes ne trouvent finalement jamais grâce aux yeux de la société et en particulier des hommes qui écrivent depuis des millénaires l’Histoire du monde.

Au-delà de ces hypothèses, on reconnaîtra que pour ces femmes il a fallu tracer un sillon puis un chemin dans des sentiers dangereux et semés de pièges. Ça forge un caractère. Mais, inversement, si leur sexe n’avait pas été préalablement un sujet, elles seraient considérées sans doute aujourd’hui comme les hommes affables et… sûres d’elles.

Les femmes qui se révoltent contre l’ordre établi ne sont pas bien vues car elles empêchent le patriarcat de dormir sur ses deux oreilles. Dans tous les cas, qu’elles chantent, qu’elles étudient, qu’elles filment, qu’elles changent ou sauvent le monde, les femmes font toujours trop de bruit. Pas faciles… Mais va falloir s’y faire.

Carine Delahaie

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