Édito : D’un côté un crayon, de l’autre le chaos…

« J’aimerais une harmonie un peu plus grande », disait Cabu ; lui, l’éternel « copain d’avant » à la coupe de playmobil qui a bercé mon enfance de ses dessins au Club Dorothée. Tout ce que voulait cet antimilitariste après avoir enduré, comme tous les jeunes hommes de son âge, 27 mois en Algérie, c’était un peu d’harmonie et de jazz… Et surtout qu’on arrête de produire des armes pour s’assurer de ne plus vivre de guerres. L’idée était, comme ses dessins, complexe à réaliser mais d’une évidente simplicité. D’un côté un crayon, de l’autre une kalachnikov et le chaos…

Le procès des attentats de janvier 2015, celui contre nos camarades de Charlie Hebdo se déroule en ce mois de septembre et finalement les victimes continuent de ne pas être réellement reconnues comme telles. Il y a toujours un imbécile au fond de la classe pour expliquer que « Quand même ils n’y allaient pas avec le dos de la cuillère… », comprenez « Ils l’ont un peu cherché… » Leurs crayons continuent d’être pointés comme plus dangereux que les armes de poing qui les ont assassinés. Et les survivant.e.s de titrer : Tout ça pour ça ! Parce qu’en effet d’un côté un crayon, de l’autre une kalachnikov et le chaos… D’un côté le pouvoir des mots et des images, de l’autre la faiblesse des hommes et leur obscurantisme. Et le pire c’est qu’on dirait que depuis cinq ans rien n’a changé. Que nous n’avons collectivement tiré aucun enseignement de cette barbarie nationale. Parce qu’une grande partie de la société pense qu’elle n’est finalement pas concernée puisqu’elle ne lisait pas Charlie. Qu’elle n’est plus vraiment Charlie.

Il faut une liberté totale et aussi une forme d’inconfort pour écrire un édito. Il faut que quelque chose vous gêne et vous fasse mal. Il ne faut pas se laisser piéger par des considérations esthétiques, ni penser à celui qui va vous lire. Parce que sinon on n’exagère rien, on ne sort pas des sentiers battus, on donne un semblant d’opinion, on ne s’extrait pas de soi-même. Et on devient l’ombre de soi-même. Sommes-nous condamné.e.s à avoir peur de la lumière, donc peur de notre ombre, à avoir peur du bruit d’une plume qui tombe sur le sol ? Sommes-nous condamné.e.s à avoir peur de notre plume, de notre crayon ?

Carine Delahaie

 

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